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- Expérience de la pratique de la pleine conscience en milieu hospitalier
Notre civilisation
se confronte à de grands problèmes d’éthique. La famille n’offre
plus toujours un refuge pour les couples et les enfants. Les parents sont
trop occupés et passent leur temps et leur énergie à courir. Lorsqu’ils
rentrent le soir, ils sont épuisés, stressés. Ils ont encore à accomplir
leurs tâches ménagères, parentales et administratives. Cependant nous
vivons dans un monde où, le plus souvent, tout ce dont nous avons besoin
est là, sous nos mains, en abondance : un toit, de l’eau, de l’électricité,
du gaz, des vêtements, de la nourriture...
Mais nous sommes à
la recherche d’une autre chose que l’on ne découvre pas dans ces biens
matériels desquels nous sommes devenus esclaves : un sens à notre vie.
Lorsque le Vénérable
Maitre Zen Thich Nhat Hanh est venu vivre en occident, il a découvert
la souffrance intense qui l’entourait malgré les conditions de bien-être
qui étaient à notre disposition. Notre Maître, grâce à sa vision profonde,
a offert des pratiques bouddhistes concrètes afin d’aider les occidentaux
à découvrir dans leurs vies les quatre
Nobles Vérités et le Noble Chemin Octuple.
1) La souffrance
2) Le chemin qui mène
à la souffrance : comment découvrir les racines de la souffrance, et
comment nous les nourrissons car rien ne demeure sans nourriture.
3) La cessation de
la souffrance : nous pouvons y mettre un terme, et sortir de ces états
mentaux douloureux.
4) La voie qui mène
à la cessation de la souffrance : le bien-être. Vivre l’instant présent
et découvrir le trésor de la vie, sa beauté, pour guérir de notre mal-être
en utilisant la pleine conscience de ce qui est là, en développant notre
joie, notre bonheur et en regardant profondément pour reconnaître tout
ce que nous avons déjà. Pour cela il faut apprendre à s’arrêter,
retourner à son souffle, le rendre conscient, car la conscience du souffle
nous ramène au corps. On peut alors arrêter le corps, la parole et la
pensée, rencontrer la réalité telle qu’elle est, afin de donner naissance
à la gratitude, valeur fondamentale trop souvent oubliée.
Le Noble Chemin Octuple
nous montre la voie d’une vie saine basée sur les préceptes: le Vinaya,
offert par le Bouddha.
" Cette feuille de
papier contient tout l’Univers " nous a enseigné notre Maître lors
de notre première rencontre. A cet instant, j’ai su que j’avais trouvé
la Voie et le Maître, une très grande joie m’a envahie. Ma vie a changé
en profondeur. Thây nous offrit le "Soutra des quatre établissements
de la pleine conscience" et le "Soutra de la pleine conscience de la respiration".
Tout était dit. Comme le torrent errant retrouve son lit, ma vie spirituelle
prit son sens. Extérieurement rien ne semblait avoir changé, mais intérieurement
la vie foisonnait. Le parfum du Zen se répandit tout autour. Il pénétra
notre maison, améliora nos relations, offrit plus de compréhension, plus
d’amour entre nous, plus d’aisance et de légèreté.
Les petits gestes de
la vie quotidienne prirent tout leur sens. C’était en 1986-1987, il
y a longtemps. Avec le livre de Thây (Marcher sur terre est un miracle),
balayer, repasser, cuisiner... était semblable mais l’esprit dans lequel
ces actes se déroulaient était neuf, nourrissant, joyeux.
J’ai invité cette
pratique jusque dans mon lieu de travail, à l’hôpital. J’étais kinésithérapeute
depuis 15 ans. Le parfum du Zen s’est répandu dans les couloirs et les
chambres des patients. Dans ce service de gériatrie où la vie touche
à sa fin, les patients sont progressivement dépouillés de tout ce à
quoi ils s’identifiaient : leur maison, leurs biens, leur santé, leur
famille, leur pouvoir, leurs responsabilités... Soudain la dépendance
est là : la souffrance physique, la vieillesse, la maladie, la mort. Les
"5 Remémorations" frappent à la porte nous ne pouvons plus faire semblant
de croire que cela ne nous arrivera pas.
1) "Il est dans ma
nature de vieillir et quoi que je fasse, je ne peux y échapper."
2) "Il est dans ma
nature d’être malade et quoi que je fasse, je ne peux y échapper."
3) " Il est dans ma
nature de mourir et quoi que je fasse, je ne peux y échapper. "
4) "Il est dans la
nature de tout ce que j’aime de changer et je ne peux éviter d’en
être séparé."
5) " Le résultat de
mes pensées de mes paroles et de mes actions est la seule chose que j’emporterai.
C’est le sol sur lequel je me tiens. "
J’ai éprouvé un
bonheur immense à travailler auprès de ces patients si démunis. Nous
nous apportions mutuellement, la joie, la détente et la paix. Là, j’ai
appris tout d’abord à pratiquer l’arrêt, à retourner à la respiration,
à la rendre consciente, sans bouger, sans parler, sans penser, à détendre
tout le corps et sourire pendant trois respirations au moins.
L’offrande de cette
pratique aux patients, fut un don de vie. Par exemple, les patients parkinsoniens,
prisonniers de leur corps, ont découvert l’arrêt autrement que comme
un obstacle à leur vie. Dans la position verticale, l'impossibilité d’avancer
est devenue un temps de découverte, d’acceptation et de confort. Nous
avons inversé, tout simplement, la formation mentale liée à ce handicap.
Dans les couloirs de l’hôpital tout le personnel court d’un patient
à l’autre. Nous, nous prenons notre temps. Y a-t-il nécessité de se
presser ?
Dans le cerveau du
malade, une substance chimique (neuromédiateur) se tarit au niveau des
connexions (synapses) entre les neurones. C’est celle qui transmet vers
le muscle l’information qui va permettre la marche. L’immobilité et
l’impossibilité de marcher s’établit dans le corps, engluant le mouvement.
Habituellement, cet état entraîne une grande frustration du patient et
l’impatience de sa famille et des soignants, s’ils n’en comprennent
pas la cause. Le stress aggrave considérablement ces troubles.
La pratique de l’arrêt
a ouvert les portes de la réconciliation entre le malade et son corps.
Pourquoi ne pas se servir de ce moment pour être heureux ? Est-il nécessaire
de se presser dans les couloirs ? Un quelconque danger nous menace-t-il
? Gênons-nous la bonne circulation du personnel ? Non, bien sûr. Et si
nous transformions cet instant que nous considérons habituellement comme
un obstacle, en un moment précieux ? Après avoir fait le constat de l’innocuité
de cet arrêt, et si nous le transformions en joie ? Nous retournons à
notre souffle, suivant notre respiration sans penser, parler ou bouger.
J’inspire et je m’arrête.
J’expire et je m’arrête.
J’inspire, j’ai
du temps devant moi pour atteindre mon but.
J’expire, je me détends.
J’inspire les arbres
ne bougent pas, mais ils sont cependant magnifiques.
J’expire, je suis
un arbre en fleurs.
Chacun choisit l’arbre
qui lui convient.
Le Zen est poésie,
beauté, découverte du bonheur même au milieu de la souffrance. " Bienvenue
au Pays Du Moment Présent " (Thây).
Tandis qu’immobile
nous respirons paisiblement, suivant notre souffle en pleine conscience
le médiateur chimique remplit les zones de connexions nerveuses. La conscience
du souffle détourne le patient de son impatience à remarcher. Lorsque
le corps a retrouvé sa capacité nous nous remettons en route. Peu importe
le temps que cela prend, rarement plus de quelques minutes. Au début cela
peut paraitre un peu étrange, mais en très peu de temps les patients
en comprennent le sens et l’intérêt. Suit la marche méditative (non
nommée comme telle), lente et en pleine conscience. La conscience du souffle
et des pas qui se déroulent sur le sol, permet un plus grand équilibre
et détourne l’esprit du risque de l’arrêt imminent faisant chuter
le stress. Comme l’impermanence est au centre de la vie, le neurotransmetteur
s’épuisant, nous sommes amenés à pratiquer à nouveau l’arrêt.
Quelle que soit la
pathologie, cette pratique fut employée avec tous les patients, car elle
éveillait l’attention appropriée et les détournait de la peur de la
chute. Souvent les patients impressionnés par cette pratique, me demandaient
d’enseigner cette méthode aux autres soignants et à leur famille. Et
si marcher redevenait un bonheur ? Je l’ai enseignée ensuite dans des
écoles de kinésithérapie, d’infirmiers, d’aide-soignants et d’aides
à domiciles. C’est tout simple: la méditation dans notre vie courante
est à la portée de tous, et elle est source de bien-être.
Il me devenait plus
facile de poser les soucis et les inquiétudes devant la porte de la chambre,
de frapper trois coups distincts avec une énergie douce afin de respecter
l’intimité du patient, de pousser la porte, d’être fraîche, toute
neuve, pour moi et pour eux. Ceci est la pratique du Bouddha. " Etre vraiment
là pour celui ou celle qui est avec nous. " Grâce à la pleine conscience
développée, il est facile de voir si l’environnement du patient est
adapté à ses besoins. A-t-il à portée de la main : les interrupteurs
de lumière, celui pour appeler le personnel, pour relever et abaisser
le dossier du lit, pour atteindre l’urinal, le verre, la bouteille, le
livre... pour en faire un roi dans son royaume.
Tant de souffrances,
d’appels, d’attentes en moins.
La pleine conscience
est une merveille qui transforme notre vie. Apprendre dans les livres est
nécessaire et nourrissant, mais notre Maître nous demande toujours de
nous poser ces questions :
- Après avoir lu un
Soutra ou écouté un Enseignement, comment vais-je le mettre en pratique
dans ma vie quotidienne ?
- Ai-je déjà mis
en pratique les Enseignements que j’ai suivis ?
- Cela a-t-il changé
ma vie, celle de mes bien-aimés ?
Comme en témoigne
ma vie professionnelle, la méditation a nourri nos vies. La Bonté Aimante,
la Compassion, la Joie et l’Equanimité : les Quatre Incommensurables
sont nées de nos rencontres patients-soignants. Une personne handicapée
est avant tout un être humain digne. Nous ne perdons pas notre dignité
en dépendant des autres. La souffrance que nous touchons dans ces moments-là
est un tremplin pour l’amour véritable, car la compréhension et la
compassion en découlent. Cela est devenu possible en nous reliant aux
Grands Etres :
- Le Boddhisatva Manjushri,
capable de trancher à travers l’illusion d’un moi séparé, nous fait
découvrir les racines de notre souffrance pour les trancher net. Il est
représenté avec un sabre, celui de la vision profonde qui libère des
illusions, de l’ignorance. Nous ne sommes pas limités par notre corps,
ni par notre esprit, ni par notre handicap.
Nous sommes le fruit
de l’amour de nos parents, de l’union de deux de leurs cellules germinales
qui portent la mémoire génétique de tous nos ancêtres et la programmation
de notre manifestation. Notre famille, notre société, notre environnement
nous modèlent. Nous sommes également le fruit du cosmos tout entier et
des quatre éléments de base (terre, air, eau, feu) auxquels se rattache
l’espace sans lequel nous ne saurions nous développer et la conscience
qui se manifeste en toute chose. Ceci est appelé le Vide, absence d’un
soi séparé. " Nous inter-sommes " avec tout ce qui nous entoure. C’est
le Non-Soi.
Lorsque le patient
réalise qu’il est encore jeune et plein de vie, dans ses enfants et
petits-enfants, qu’il continue à travers eux sa vie et son rôle dans
la société, une grande partie de sa souffrance le quitte : nous touchons
l’Equanimité.
- En nous reliant à
l’Energie du Boddhisatva Samantabhadra, nous offrons la Joie le matin
et soulageons la Souffrance l’après-midi. Nous nous mettons, grâce
à la pleine conscience du souffle et de notre présence, dans un état
d’accueil de ce qui est là, de celui qui souffre, de son besoin. Nous
abandonnons pour un temps, librement, notre propre intérêt en étant
pleinement là pour lui. Cette attitude par elle-même le soulage déjà
et nous comprenons sa situation.
- En nous reliant à
l’Energie du Boddhisatva Avalokita, nous devenons écoute profonde, c’est
l’écoute dans laquelle nous ne sommes qu’attention à l’autre. Nous
cessons de juger et de réagir, en suivant notre souffle. Elle est destinée
à offrir une présence authentique, calme, douce, attentive et paisible.
Elle soulage la souffrance de la personne qui s’exprime. Cette écoute
profonde nous permet de comprendre réellement ce qui se passe pour l’autre,
nous pénétrons dans la Compassion. La Parole Aimante se manifeste alors
spontanément. Ce sont les deux grandes qualités du Boddhisatva Avalokita.
- En nous reliant à
l’Energie du Boddhisatva Ksitigarbha, qui travaille dans la joie et la
pleine conscience, nous osons rencontrer les
enfers de la colère, du désespoir, de l’impuissance, du dépouillement.
Avec le souffle suivi en pleine conscience nous pratiquons l’arrêt,
en retournant à nous-même pour nous enraciner dans notre île Intérieure,
ce refuge où se trouvent la stabilité, la paix, la non-peur. Puis nous
nous ouvrons au patient, nous devenons comme un grand arbre très solide
qui tend ses branches au-dessus de la rivière de la vie, tout en sachant
que le courant ne s’arrêtera pas, car nous ne pouvons empêcher la mort
de faire son œuvre. Nos bras tendus avec amour et compassion peuvent devenir
un refuge temporaire, un moment de bonheur, de paix, de soulagement. Pendant
ce temps, les oiseaux peuvent chanter dans nos hautes branches, les fleurs
et les fruits s’offrir pour soulager leur misère. La Joie est essentielle,
elle est là tout le temps en nous, sous forme de graines qui ne demandent
qu’à s’épanouir. Notre Thây nous enseigne qu’ " un bon pratiquant
doit faire naître la joie et le bonheur n’importe quand, n’importe
où ".
- En nous reliant à
l’Energie du Boddhisatva Sadiparibhuta, nous rencontrons la personne
qui souffre en voyant en elle une personne digne. Il n’y a pas de perte
de dignité chez une personne handicapée. Le Bouddha nous enseigne que
nous avons tous en nous la nature même du Bouddha : la nature de l’Eveil.
La personne écoutée, considérée, est une merveille. Parfois nous pouvons
ne pas le voir, notre attention étant attirée par le handicap. Les orpailleurs
n’hésitent pas à descendre dans les torrents glacés avec leur tamis,
à rester des heures entière à soulever la boue car ils savent qu’il
y a de l’or. Notre pratique est donc de rendre à cette personne une
reconnaissance d’elle-même, de tout ce qu’elle a réalisé de beau
jusqu’alors, et de l’importance de sa présence. Nous touchons le Nirvana.
" Nous sommes tous
des Bouddhas en devenir ".
Poème au lit du
malade
Je ne suis pas ce
corps
Qui est là et repose,
Je ne suis pas ces
yeux
Tournés vers toi,
Ni cette main
Que tu tiens dans
la tienne
Ni ce souffle si court
Que je ne retiens
pas.
Je ne suis pas ces
yeux
Qui te regardent encore
Et qui ont contemplé
La terre dans sa beauté,
Ni ces oreilles,
Coquillages sonores
Qui n’ont jamais
cessé
De mieux vous écouter.
Je ne suis pas ces
lèvres
Qui se décolorent
Et qui vous ont souri
Avec tant d’amour.
Je ne suis pas cette
bouche sans goût
Qui s’est émerveillée
De la saveur des fruits.
Je ne suis pas ces
joues
Qui lentement se creusent
Et qui ont connu
La douce pluie de
vos baisers. |
Je ne suis pas ces
jambes
Qui ne peuvent se
mouvoir
Qui ont tant apprécié
de se promener.
Ne pleure plus Aimé
Il n’est là qu’une
écorce
Tissée de terre et
d’eau
Et de vent et de feu.
Je suis le ciel si
bleu
Profond et sans limite
Le chant du jeune
oiseau
Et le parfum des fleurs.
Je suis l’Amour
si fort
Que vous m’avez
offert
Et qui a donné sens
A toute ma vie.
Mon amour est en toi
Comme une grande lumière
Qui, quoiqu’il arrive,
Ne se tarit jamais.
Je ne te dis pas adieu
Mais à tout de suite… |
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