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- Quelques expériences dans la compréhension et la pratique d’un
bouddhiste laïc
Mesdames, Messieurs,
chers amis,
Permettez-moi tout
d'abord de remercier l’Institut Bouddhique Trúc Lâm qui a eu l'initiative
d’organiser ce Séminaire et qui m'a ainsi donné l'occasion de m’exprimer.
Ce lieu me rappelle avec émotion notre Maître, le Vénérable Thiện
Châu, ainsi que le temps où je suis venu à Trúc Lâm il y a 20 ans
déjà. S’il pouvait assister à notre rencontre d'aujourd'hui, je suis
sûr qu'il serait très satisfait.
Le thème d’aujourd’hui
coïncide presque avec celui abordé il y a 20 ans, et c'est aussi un thème
sans cesse récurrent dans le bouddhisme: "Le bouddhisme dans la société
moderne". Concernant ces sujets, le bouddhisme et la société, le bouddhisme
et la guerre ou la paix, le bouddhisme et la science, vous-mêmes ainsi
que les forums de discussion, à l’intérieur du pays ou à l’étranger,
avez déjà tout dit, ou direz certainement tout.
Je voudrais seulement
partager avec vous quelques réflexions, quelques confidences d’un bouddhiste,
ayant eu pendant 20 ans l'occasion de rencontrer de nombreux coreligionnaires,
et qui a souvent été amené à réfléchir sur la connaissance et l'action
dans la doctrine bouddhique. Ces réflexions intimes peuvent paraître
quelque peu pessimistes, mais elles sont l'expression sincère de ma pensée
profonde.
1. Pour commencer,
voici une observation optimiste. Plus le temps passe, plus je me sens heureux
d'avoir pu rencontrer le bouddhisme dans ma vie. C'est une religion –si
on le considère ainsi– douce et pacifique, qui respecte la vie, qui
aime la vérité, la paix, la démocratie, et qui tolère les différences,
y compris les différences religieuses. Ces dernières années, le bouddhisme
m'a aussi enseigné la méditation. C’est une méthode d’observation
de l'esprit, qui m'a aidé à trouver la paix et la joie intérieure, et
à comprendre les choses et le monde d'une façon plus claire et lucide.
2. En second lieu,
j’ai une considération sans doute pessimiste, qui risque de blesser
certaines personnes. A partir du moment où le bouddhisme s'est organisé
en une institution, telle une communauté de moines, une congrégation,
une collectivité, une association…, alors, même si ses valeurs essentielles
comme le non-soi, la lutte contre l'avidité, la haine et l'ignorance,
le développement de la joie et de la sérénité étaient toujours rappelées,
des souffrances et des poisons mentaux nés d’une vie communautaire organisée
semblent s'aggraver davantage. Ces institutions ne favoriseraient-elles
pas le développement d'émotions négatives plutôt que la paix et le
bonheur, en donnant naissance à "ma" congrégation, "mon" école, "mon"
maître? Pour cette raison, je pense que le bouddhisme ne peut sans doute
porter ses fruits que dans une approche individuelle ou au sein de communautés
réduites, dépourvues de caractère organisé. Le bouddhisme ne serait-il
donc jamais un mouvement de masse et ne devrait-il jamais tendre à le
devenir? Je ne fais ici que poser la question sans oser affirmer de réponse.
3. Encore une autre
observation pessimiste. L'époque actuelle est une époque de violence,
une violence couvrant les 3 domaines du corps, de la parole et de l'esprit,
une violence qui va d’un échelon social limité jusqu’à des relations
internationales entre pays. Or, la violence nourrit la violence, et fait
écho à la violence. Aussi, le Bouddha a-t-il dit que seul l'amour pouvait
neutraliser la haine. Mais je vous le demande, qui peut mettre ces paroles
en pratique? Face à la situation dans laquelle se trouve le monde aujourd'hui,
selon moi, le bouddhisme est totalement impuissant. Et donc dans ce domaine
également, j'en arrive à penser que le bouddhisme ne peut aider que des
individus à trouver le bonheur et la paix, et qu'il ne joue quasiment
aucun rôle dans le cadre étendu de la société et du monde.
4. De mon point de
vue, le bouddhisme doit se tenir le plus possible à l’écart de la politique,
du gouvernement, et ne doit pas participer au pouvoir. Lorsqu'il est proche
du pouvoir, le bouddhisme ne peut jamais "réformer" les hommes du pouvoir,
inversement ce sont les moines qui se retrouvent aliénés et ébranlés.
Le cas des dynasties Ly et Trân au Vietnam, dont les rois étaient aussi
des maîtres Zen, est un cas rare dans l'histoire. Le bouddhisme ne devrait
jamais être une "religion nationale" pour quelque pays que ce soit, et
chaque moine ne devrait être qu'un simple moine, vivant loin de la vie
et du monde laïque. L’effondrement progressif du bouddhisme au Tibet,
où pendant des siècles les moines étaient à la fois chefs spirituels
et temporels, nous offre une leçon à méditer. Les épisodes où le bouddhisme
a connu des périodes sombres en Chine nous montrent aussi que dès que
les moines détiennent de grands pouvoirs politiques, le bouddhisme tombe
en décadence.
5. Je pense que, d'une
part, le bouddhisme en tant que religion de masse va progressivement perdre
toute influence partout dans le monde. En Inde, en Chine, au Tibet, au
Viêt Nam,… le bouddhisme n'est plus qu'une enveloppe, un emballage,
avec davantage de formes et d'apparences que de contenu. Peu de gens connaissent
vraiment la doctrine du Bouddha. Evidemment, la doctrine du Bouddha existe
toujours parmi ceux qui pratiquent ses enseignements, comme par exemple
dans les groupes qui pratiquent et étudient selon les trois voies du Zen,
de la Terre Pure et du Vajrayana. Mais seuls ceux qui mettent réellement
en
pratique les enseignements du Bouddha conservent l'esprit de cet enseignement.
6. Finalement, selon
moi, un bouddhiste doit vraiment faire l'expérience de la pratique. Ce
n'est que par une pratique authentique que l'enseignement du Bouddha devient
vraiment clair et lumineux. Des principes tels que l'impermanence, l'absence
d'ego, la souffrance,… deviennent plus compréhensibles grâce à la
pratique, comme par exemple la méditation. Sans pratique, la doctrine
du Bouddha reste seulement un corpus de principes théoriques sur l'éthique
individuelle et sociale. Seule l'expérience de la pratique fournit au
bouddhiste le moyen d'échapper aux émotions négatives. Sans cette pratique,
un bouddhiste connaît l'existence de ces émotions négatives,
mais ne peut pas leur échapper.
7. On trouve dans le
bouddhisme la notion de transmission du Dharma, c’est-à-dire de conserver,
protéger et transmettre l'enseignement du Bouddha. Ceci ne signifie pas
pour autant que les bouddhistes doivent s'efforcer de convertir autrui.
Selon moi, un bouddhiste doit toujours être prêt à exposer et expliquer
la doctrine du Bouddha dans l'intention d'aider quelqu'un, mais seulement
à condition que cette personne soit disposée à l'écouter. "Pas de question,
pas d'explication" fut le mot d'ordre appliqué déjà par le Bouddha lui-même
de son vivant.
8. Personnellement,
j'ai choisi le Zen comme méthode de pratique. Les autres méthodes propres
à l'école de la Terre Pure ou à l'école Vajrayana conviennent sans
doute à d'autres pratiquants. Je respecte ces autres écoles et je ne
les critique pas. Elles ont leurs méthodes, leurs secrets et leurs réalisations
que ceux qui n'en sont pas adeptes ne peuvent comprendre tout à fait.
Elles ne cherchent pas à nous convaincre tout comme nous n'avons pas besoin
de les convaincre. Même au sein de l'école Zen, on trouve de nombreuses
méthodes, techniques et écoles différentes dont les adeptes n'ont nul
besoin de s'expliquer ou de se convaincre les uns les autres.
9. Pratiquer le bouddhisme
selon la voie Zen nécessite du temps car le pratiquant doit aller à l'encontre
de toutes ses habitudes de pensée et de perception. Le pratiquant du Zen
peut facilement renoncer et abandonner la voie car celle-ci requiert une
persévérance assidue. Il ne pourra considérer avoir atteint la première
étape que lorsqu'il ressentira de la joie intérieure dans sa pratique
méditative. Tant que notre pratique est vécue comme une tâche qui nécessite
des efforts, nous sommes encore loin du Zen.
Chers participants,
chers amis,
Je viens de partager
avec vous quelques réflexions personnelles en toute sincérité.
Dans cet exposé, je
pose plus de questions que j’ose affirmer. Ce justement parce que je
ne suis qu'un simple bouddhiste débutant sur la quête de la voie.
J’espère que vous
puissiez m'éclairer et me partager votre expérience.
Je vous souhaite beaucoup
de paix et de bonheur.
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