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Réflexions de néophyte sur l’esthétique
de la calligraphie et de la peinture chinoises

Vũ Ngọc Cẩn

Maître Li Xiao Hong m’a gentiment proposé de livrer quelques impressions après quelques années d’initiation à l’art de la calligraphie et de la peinture chinoises. Pour le néophyte que je suis, l’embarras fut grand mais je m’y suis résolu au nom de l’amitié que Maître Li m’a toujours accordée.

Mon souvenir de cet art remonte à bien des années. Mon père, admirateur des illustres poètes de  l’époque Tang  que sont  Li Bai (李白, Lý Bạch), Dù Fǔ (杜甫, Đỗ Phủ) Zhāng Jì (张继, Trương Kế), aimait déclamer leurs poèmes. De son temps, dans les années 30, la culture occidentale prenait le pas sur la culture traditionnelle vietnamienne et circulait alors un poème très populaire, « Ông đồ già ou Le vieux lettré calligraphe « de Vũ Đình Liên, qui traduisait avec nostalgie ce changement:

Chaque année quand refleurissaient les pêchers /On voyait de nouveau le vieux lettré
Qui étalait son encre de Chine et ses papiers rouge foncé / Sur le trottoir où tant de gens passaient.
Et ceux qui le louaient pour son art / Exprimaient leur admiration : ‘‘Un tel talent d’écriture,
C’est la danse du phénix et le vol du dragon !’’   ....
Cette année, alors que refleurissent les pêchers / On ne voit plus le vieux lettré.
De tous les gens des années passées / Où leur âme s’est-elle bien envolée ?
(Traduction par Đông Phong)

Heureusement les temps ont évolué et de nos jours, la calligraphie et la  peinture chinoises, autrefois réservées à un cercle restreint d’initiés, sont maintenant  de plus en plus appréciées par un large public.

Comment, en effet,  ne pas s’extasier devant ces tableaux de maîtres anciens, souvent fin lettrés, qui ont su exprimer  en quelques traits nuancés de lavis d’encre monochrome, leurs sentiments d’humanité au travers d’une composition  simple, et pourtant si harmonieuse. (« Le sage » du bonze Liang Kai). On peut imaginer le maître, déconnecté du monde environnant, intensément absorbé dans l’œuvre à réaliser, dans le message à partager, déposer en un seul souffle sur une page immaculée,  de son pinceau virevoltant, des traits, des taches, des dégradés qui, en quelques instants, se transforment en ce personnage extraordinaire ! L’oeuvre n’est pas pour autant terminée, le maître complète sa peinture par un court poème calligraphié du style Cao Shu et appose en final un sceau rouge cinabre, le tout respectant une harmonie totale de la composition et selon des règles bien établies.  C’est la peinture selon le style Xie Yi (写意), littéralement « écrire l’idée »,  libre et spontané, si différent du style Gong Bi (工笔), « le pinceau soigneux »,  précis, minutieux, académique.

Cependant, l’apparence de la facilité du style Xie Yi est fort trompeuse, car pour y arriver, la maîtrise du pinceau doit être parfaite et nécessite un apprentissage de toute une vie.
La peinture chinoise est définie par le trait, dont le développement est étroitement lié à celui de la calligraphie. Calligraphie et peinture partagent la même philosophie et les mêmes techniques. L’art des traits passe avant tout par une tenue correcte du pinceau. Mais tout  devient plus  subtil quand on commence à aborder l’aspect esthétique du trait calligraphique. Une discussion plus détaillée des techniques du pinceau peut être trouvée dans l’excellent livre de Kwo Da-Wei (« Chinese brushwork in Calligraphy and Painting », ed. Dover, New York, 1990)  et celui de Li Zhong Yao et Li XiaoHong (« Petit traité de Peinture Chinoise », éd. Le Temps Apprivoisé, 2002).

Sous les Cinq dynasties (906-960), le peintre Jing Hao considérait que la  qualité d’un trait de pinceau dépend de quatre facteurs principaux : Jin (tendon), Rou (chair), Gu (os) et Qi (souffle).  Les racines des critères esthétiques du trait de pinceau trouvent leur source dans le Taoïsme, le Confucianisme et le Bouddhisme, en particulier de la secte Chan. Chaque trait doit tenir compte du Yin et du Yang, reliant des éléments en opposition comme  le ciel et la terre, le plein et le vide. l’épais et le fin, le lent et le rapide.
 
Un beau trait devait respecter un certain nombre de critères sur l’amorce et la terminaison, le relevé et l’appuyé, la pression exercée sur le pinceau, l’arrondi et le cassé, la rondeur et le carré, la pointe centrée et la pointe oblique, la pointe cachée et la pointe visible.
Pour illustrer ce propos, prenons le trait horizontal de base : 1-la partie gauche (G)  est plus basse que la partie droite (D) (souplesse) ; 2- tranchant (G) en opposition avec rondeur (D) (ciel/terre) ; 3- épais dans les extrémités, mince au milieu tel un os (fin/épais) ;  4- droit sur la partie supérieure et courbe en bas tel un diaphragme qui respire (droit/courbe); 5- on démarre dans le sens opposé du trait et on finit de même ; 6- démarrer lentement (G), accélérer au milieu et terminer au ralenti (D) (lenteur/rapidité) ; 7- démarrer léger, appuyer (G) , relever léger au milieu, appuyer (D) et terminer léger (léger/lourd).

De même, un caractère, composé de traits,  est  jugé beau s’il respecte  dix-sept règles et critères !!

Pour ne pas s’y perdre, on retiendra plutôt quelques principes de bon sens pour juger de la qualité d’une peinture ou d’une calligraphie :

Equilibre et harmonie : c’est dans cette opposition du Yin et le Yang, du lourd et du  léger, du vide et du plein … commentée précédemment que naissent la beauté et l’harmonie d’une œuvre selon la pensée chinoise.

Variété : on apprécie avant tout une oeuvre dans son ensemble où la composition harmonieuse  et équilibrée règne, avant même de s’intéresser au détail - la qualité de l’écriture par exemple. Une écriture trop parfaite n’est pas considérée comme belle, une peinture trop appliquée n’est pas appréciée. La monotonie est considérée comme un grand défaut à éviter à tout prix.

 Le Qi :
“La peinture émane du cœur, qu’il s’agisse de la beauté des monts, des fleuves, des personnages et choses, ou qu’il s’agisse de l’essence et du caractère des oiseaux, des bêtes, des herbes et des arbres, ou qu’il s’agisse des mesures et proportions des viviers, des pavillons, des édifices et des esplanades, on en pourra pénétrer les raisons ni épuiser les aspects variés, si en fin de compte on ne possède cette mesure immense de "l’unique trait de pinceau”. Extrait de “Propos sur la peinture du Moine Citrouille Amère” trad. P. Ryckmans, éd. Plon 2007.

L’exécution d’une œuvre ne souffre pas de repentir puisque l’encre est indélébile. L’artiste doit d’un seul souffle, commencer et terminer son œuvre sans hésitation aucune, d’un geste naturel. L’imperfection est même appréciée car elle traduit la nature humaine. Au travers de cette spontanéité, la personnalité, voire la moralité de l’artiste est révélée dans son œuvre.

En conclusion,  ces notions très subtiles de la peinture et de la calligraphie chinoises nécessitent toute une vie pour s’y imprégner. Seul un engagement sincère par la pratique permettrait une compréhension approfondie. Toutefois, la sensibilité pour le beau qui existe en chacun nous permet de vibrer devant ces œuvres si belles, et c’est bien cela l’essentiel.

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