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Be Ky ,  l'art du Croquis 
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Đặng Tiến

L ' univers pictural de Be Ky, ainsi que son monde mental sans doute, s'exprime essentiellement depuis bientôt un demi-siècle, par ses dessins instantanés à l'encre de Chine, que, le bonheur des langues aidant, j'appelle l'art du Cro-Ky.

Son œuvre, parmi les plus populaires au Vietnam comme à l'étranger, reste néanmoins méconnue ; elle tient une place à part dans l'histoire de l'art vietnamien, due au destin un peu particulier de l'auteur.

Depuis 1989, elle est installée aux Etats Unis, en Californie avec son mari, l'artiste peintre Ho Thanh Duc, et continue à produire et à exposer. Un album de ses œuvres, Be Ky, Vietnam My Love, est sous presse.

Née en 1938 à Hai Duong, orpheline très jeune, dans une province côtière du Nord Vietnam, soumise à la disette constante et ravagée par les guerres, Be Ky aimait dessiner, savait dessiner avant d'écrire. Elle se fit adopter par Tran Dac, un peintre portraitiste de Hai Phong et assurait les travaux domestiques en contrepartie de l'apprentissage du pinceau.

Les accords de Genève en 1954 les virent émigrer vers le Sud, où Be Ky gagnait la petite vie en vendant ses croquis dans les rues de Saigon, jusqu'au beau jour où ses talents furent découverts par un journaliste français, René de Berval, chroniqueur du Journal d'Extrême Orient et de la revue France Asie. Il la révéla à son public : coopérants, enseignants, hommes d'affaires français et autres lecteurs francophones qui, en un cercle restreint, constituaient un petit noyau intellectuel influent.

Grâce à cet appui, Be Ky exposa ses œuvres en décembre 1957 à Saigon, dans les salles de l'Alliance Française, un des hauts lieux littéraires de l'époque ; la peinture de trottoirs fit ainsi irruption dans le monde de l'intelligentsia, qui, hélas, faisait toujours mine de l'ignorer.

Be Ky poursuivit son bonhomme de chemin, s'initiant aux genres plus nobles : la peinture sur soie, en monochrome traditionnel, ou la laque aux couleurs plus éclatantes. Ses œuvres étaient prisées des collectionneurs, surtout européens à cette époque. Ils y recherchaient non seulement un produit exotique, mais un art personnel, original, pur et limpide, d'un grand intérêt ethnographique. Be Ky y montrait la vie quotidienne et l'âme vietnamiennes croquées en quelques traits francs et gracieux, à travers des sujets souvent nostalgiques : les enfants jouant aux billes, aux pétards, au combat de coqs, lâcher de poissons, au volant ou cerf volant, … ; les fêtes traditionnelles : des lampions à la mi-automne, des fleurs de pêcher au Nouvel An ; la jeune fille s'occupant de la petite sœur, peignant ses cheveux, lui donnant à manger, la portant dans toutes les positions : à la hanche, sur le dos, sur le cou…   Be Ky s'intéressait aussi au labeur des petites gens qu'elle côtoyait : l'étal dérisoire du vendeur de soupe, la palanche de la marchande de fruits, le cyclo-pousse peinant sous la pluie, le colporteur sur les quais, le mendiant aveugle traversant la rue…  Peu de scènes aristocratiques, que sans doute elle ignorait.

Le sujet ici n'est pas un simple motif, ou prétexte formel, mais fait partie intégrante du tableau, comme dans la peinture chinoise classique. La mère allaitant l'enfant, chez Be Ky, en quelques traits, est l'univers maternel revécu et ressuscité. Ainsi, on doit comprendre ses "dessins" dans le sens originel du mot, où dessin se confond avec dessein : l'intention, l'objectif final, l'œuvre idéale conçue dans l'esprit du peintre. Le bambou, dans une peinture chinoise n'est pas reproduction de l'arbre dans la nature, mais production de l'âme artiste. Un dessin de Be Ky représente à lui seul les trois étapes de la création : le projet, le jet et le jeté. Dans l'œuvre finie, il faut voir toute la poïétique picturale : le regard qui perçoit, l'esprit qui conçoit et la main qui, d'un seul trait, informe.

Et le trait, souvent chez Be Ky une courbe à la fois aérienne et onctueuse, ne doit pas être séparé du blanc qui l'entoure, qui le met en valeur, dans le principe du Vide et du Plein cher à la pensée asiatique. Le dessin de Be Ky, qu'elle le sache ou non, est l'héritage d'une tradition millénaire de la calligraphie, où chaque idéogramme est un microcosme, où chaque point rythme la vie, chaque trait porte le souffle : Rythme et Souffle, voilà ce qu'il faut sentir dans les dessins de Be Ky, que l'on peut considérer comme Calligraphie de l'Illettré - le paradoxe doit être compris dans son intention admirative et élogieuse.

Les dessins de Be Ky sont merveilleux. Mais ils sont autrement beaux que ceux de Léonard de Vinci ou de Matisse. Ils sont différents des croquis que les peintres vietnamiens de l'Ecole des Beaux-Arts de Hanoi ont pris des scènes de la rue, à la demande de leurs professeurs, en 1925. Ils sont différents, parce qu'ils participent à une autre poétique.

La peinture orientale pendant longtemps semblait préférer l'encre noire aux couleurs, parce qu'elle voulait, dans le processus de la création, privilégier l'énergie humaine grâce à l'économie des moyens.

L'artiste qui s'implique dans son œuvre y engage corps, pensée et sentiments. Il concentre sa personnalité en un seul acte, qui réduit le monde à son essentiel, parfois en un seul trait. On retrouve cet engagement dans les œuvres de Be Ky.

Nous pouvons encore élargir le sujet en disant : aimer la vie - ou une femme - c'est la réduire à son essentiel. Elle s'éparpille et vous la perdez.

La peinture de Be Ky est une manière, pure et simple, de nous retrouver dans l'Essentiel.

Los Angeles – Paris
Avril 2002
DANG TIEN, Université de Paris VII


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