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Portées morales, humaines et géopolitiques 
des Accords de Paris sur le Vietnam 
40 ans après (1973-2013).

Auteur : LUONG Can-Liem, 
Psychiatre, Dr en Psychologie, Chargé de Cours Paris XIII.

Portées morales, humaines et géopolitiques des Accords de Paris sur le Vietnam 40 ans après (1973-2013). .

Résumé :

L'Histoire universelle est marquée par la mémoire des peuples de leurs impératifs de liberté, d'égalité et de fraternité au-delà des idéologies. Pour l'Occident, le récit biblique de victoire de David sur Goliath reste le symbole des combats justes. La Guerre du Vietnam au XXe siècle a rejoint ce paradigme. Les Accords de Paris de 1973 sur la fin de la guerre devaient préparer le rétablissement de la paix. L'histoire des derniers siècles du Vietnam montre un territoire fractionné entre le nord et le sud en contraste avec une culture d'unité. La colonisation puis la partition du pays en deux Républiques avaient renforcé le risque de schisme dont le refus a été la force morale décisive de la volonté de victoire. Le prix à payer a été si lourd que la réconciliation et la concorde nationales écrits dans ces Accords ont peine encore à s'exprimer 40 ans après. Parce que la guerre du Vietnam a aussi été le champ de bataille de la guerre froide, cette longue parenthèse non refermée peut donner à penser qu'il y a eu aussi des antagonismes internes entre Vietnamiens. Cette question redevient d'actualité dans l'optique d'une nouvelle solidarité face au déni par la Chine de la souveraineté vietnamienne sur ses territoires maritimes. Plus universellement, les principes de la Réconciliation et de Concorde apparaissent comme des thèmes géopolitiques et démocratiques, des antidotes aux clivages politiques et culturels des peuples et de leurs histoires.

Mots clés :

Vietnam - Chine - Accords de Paris - Concorde - Souveraineté - Psychologie politique.

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Moral, human and geopolitical significances of Paris Accords on Vietnam 40 years later (1973-2013)

Abstract :

The history of mankind is characterized by the compelling demands for freedom, equality and brotherhood which, beyond ideologies, are deeply rooted in the memory of nations. In the Western world, the biblical story of David's victory over Goliath remains the symbol of rightful struggles. The Vietnam War in the XXth century has become part of this paradigm. The Paris Peace Accords in 1973 were expected to end the war and pave the way for the reinstatement of peace. The history of Vietnam in recent centuries shows a territorial divide between North and South in contrast to its culture of unity. Colonial rule and afterwards the partition of the country into two republics have deepened the risk of schism the rejection of which was the moral driving force underlying the will to win. The price paid for this has been so high that the national reconciliation and concord spelled out in the Paris Accords are still a painful pursuit 40 years later. Because the Vietnam War also a battlefield for the Cold War, this protracted unfinished business now suggests that there has also been internal antagonisms among the Vietnamese themselves. This issue has regained relevance in the prospect of a new solidarity against China's attempts to deny Vietnam its sovereign rights over its territorial seas. On a more global level, the principles of reconciliation and concord assert themselves as geopolitical and democratic topics, antidotes against political and cultural divisions between nations and their histories.

Key words :

Vietnam - China - Paris Accords - Concord - Sovereignty - Political Psychology.

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http://webasies.com/vietnam-la-portee-morale-des-accords-de-paris-1973/

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Les Accords de Paris furent signés en 1973 pour mettre fin à la guerre du Vietnam entre les trois protagonistes armés et engageant la société civile pacifiste identifiée au sud - la Troisième Force ou Lực Lượng thứ ba [luc luong thu ba] -. Le principe de Réconciliation et de Concorde nationales - Hoà giải, hoà hợp dân tộc [hoa giai, hoa hop dan toc] - formait une des conditions essentielles de paix. Y sont également réaffirmés les principes des Accords de Genève de 1954 sur l'Indochine portant sur l'unité de la nation et la souveraineté du territoire continental et maritime vietnamien.

Deux ans après, en 1975, les combats prendront fin avec l'entrée dans Saigon, de la République Démocratique du Vietnam (RDVN) et du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire (GRP) du Sud Vietnam. La République du Vietnam (RVN), le troisième cosignataire des Accords de Paris sera défaite, Saigon baptisé Ho Chi Minh Ville, et la " Troisième Force " évaporée. Le pays sera réunifié, retrouve la paix et attend son apaisement. Il adhère à l'ONU sous son nom actuel de République Socialiste du Vietnam (RSVN). Sa première constitution de 1976 sera plusieurs fois révisée. Elle attend ses dernières modifications envisagées depuis début 2012 prévues pour 2014. Hanoi, millénaire, restera la capitale historique ; le drapeau et l'hymne inchangés.

2013 fêtera les 40 ans de ces Accords. Toutefois, sa portée est prématurément bousculée ces dernières années par l'actualité géopolitique des relations Vietnam-Chine avec des effets domestiques.

L'idéologie comme moteur, mémoire et ambition historiques.
Depuis ces événements inouïs, le mot de " Vietnam " a pris un écho mondial et protège le pays. Il est devenu le symbole d'une cause juste pour une lutte réussie d'un peuple.

Cette défaite américaine sera utilisée aussi comme le paradigme militant du socialisme triomphant versus le capitalisme néocolonial. Se succèderont l'avènement des régimes socialistes en Indochine, en Afrique, en Amérique Centrale en ces années 1975. L. Brejnev prononcera la fin de la lutte des classes en Union des Républiques Soviétiques Socialistes (URSS) et la naissance d'un monde nouveau. M. Gorbatchev en toute confiance, annoncera en 1985 le " Glasnost " (la transparence) du régime. Ce mécanisme relève de la psychologie politique ; les événements peuvent se déclencher par contagion comme l'ont démontré les " Printemps arabes " de 2011.

Ce même mécanisme fonctionne aussi par une compilation historique quand nous revisitons rétrospectivement la Révolution bolchévique de 1917 et ses développements ultérieurs. Celle-ci s'était appuyée en effet sur les thèmes de " Liberté-Egalité-Fraternité " pour bâtir son idéologie, se considérant comme la seule héritière légitime de la Révolution française de 1789 et de la Commune de Paris de 1870. Ces thèmes ainsi réinterprétés ont été enseignés à des générations d'hommes qui devaient devenir des Soviétiques internationalistes par delà leurs identités nationales. Toutefois, cette mise sous tension a fini par produire 72 ans après des effets contraires si imprévisibles que ce n'est ni du pur hasard, ni par simple coïncidence. La perspective commémorative du Bicentenaire de la Révolution française comme le symbole de leurs thèmes révolutionnaires, avait suffi à allumer la mèche décisive de l'implosion des régimes soviétiques est-européens. Ce mécanisme, c'est l'effet agissant de retour du refoulé mémoriel collectif. Ici en Europe, c'était comme une deuxième campagne napoléonienne de l'esprit de 1789 (6). 1989 : c'est la chute du Mur de Berlin en Allemagne. Les Partis Communistes européens doivent se donner d'autres modèles de prise de pouvoir. Ailleurs dans le reste du monde, les gouvernances communistes non occidentaux détermineront chacune leur voie propre et d'autres praxis politiques. 1989 : c'est la répression sur la place Tien An Men (Pékin-Beijing) qui veut dire La Porte de la Paix Céleste. Et l'Armée du peuple va tirer sur le peuple, sur ses jeunes. Cet acte de pure tradition impériale d'imposer la paix civile (3) inaugure une réflexion psychopolitique profonde. Comment la notion classique du Mandat Céleste [chinois : tien meng ; vietnamien : thien meng] détenu par le Seigneur Prince peut-elle se transmuter en concept moderne de la Délégation/Représentation du Peuple - le député élu du peuple - dont un processus démocratique donnerait la légitimité ?

Il y a une leçon générale : une mondialisation construite sur la base d'une religion, d'une idéologie, d'une conception mécanique de la démocratie ou uniquement par la seule finance est une chose irréaliste. Désormais, il n'y aura pas plus d'orthodoxie supranationale et de pensée unique que de vérités absolues sur le peuple souverain qui demande une gouvernance transparente. La notion politique de la " Diversité populaire " n'est pas réductible au concept de " Variable scientifique ", évaluable par des sondages, manipulable par les besoins du marché et utilisé par l'industrie financière comme une variable de ressources humaines d'ajustement de la main d'oeuvre.

En 1975, le Vietnam représentait un symbole important sur l'échiquier de la Guerre froide. Avec la victoire, la logique du socialisme internationaliste et la loyauté combattante ne laissaient pas au camp vainqueur le chantier de faire la Réconciliation et la Concorde nationales avec les vaincus. Il n'y aura pas eu de bains de sang mais dans l'immédiat après-guerre, les antagonismes ont pris une autre dureté. Tout était encore trop frais. La proximité de la défaite des uns avec la victoire des autres étayait la théorie de la Révolution et de la prise de pouvoir. L'application de la théorie de la lutte des classes confondait l'ennemi de classe avec l'ennemi intérieur alors que la population - épuisée par la guerre - aspirait à la quiétude. La paix a été si miraculeuse qu'on croyait l'installation facile, immédiate, harmonieuse. Le romantisme révolutionnaire avait joué sa pièce. Des peurs intimes et des revanches personnelles, des déceptions collectives, de la violence révolutionnaire, une sociologie de la suspicion s'entremêlaient inévitablement avec la nécessité de protéger la paix, la consolidation du nouveau régime, les difficultés internationales. A ce moment précis, des gens craignaient d'être qualifiés pour un rien, de réactionnaires, de déviants voire d'ennemis. Cette paix ne leur apportait pas une franche tranquillité d'esprit surtout au sud et malgré le silence des armes. Il fallait au nord et au sud ensemble " bâtir une nouvelle Culture (et) l'Homme nouveau socialistes " (4) dit Lê Duân, secrétaire général du Parti Communiste Vietnamien. Les " boat people " partaient aussi bien du sud qu'au nord qui est pourtant socialiste depuis 1945, fondation de la République Démocratique du Vietnam (Nord Vietnam). Les hommes ne se mettaient pas vraiment au travail au-delà des erreurs de gestion publique. Les Etats-Unis décréteront un long embargo économique, culturel, technologique et politique contre le Vietnam ennemi contre lequel la guerre n'a jamais été déclarée pour ne pas à avoir payé des dommages (par exemple : les conséquences de l'Agent Orange-Dioxine). Les pays socialistes arrêtaient déjà leur soutien, le Vietnam devenant l'otage de leurs rivalités. La question chinoise se posait déjà à travers le régime maoïste des Khmers Rouges contre lequel le Vietnam va intervenir pour arrêter le génocide et subir l'agression chinoise vengeresse.

Ces expériences complexes, historiques, sociologiques et économiques au nord et au sud imposaient une première réconciliation avec la réalité, et font franchir une ligne doctrinale. Ce sera en 1985, le virage idéologique du " socialisme d'économie de marché ". L'Etat est dirigé par le Parti Communiste Vietnamien qui encadre une économie mixte et privée et administre une société d'ouverture. La vitalité populaire et la conscience nationale vont bénéficier de la politique du Renouveau - le Đổi Mới [Doi Moi] - qui mènera le pays à son adhésion à l'ASEAN puis à l'Organisation Mondiale du Commerce. Le pays s'enrichit. La société se mobilise. Une petite classe moyenne et urbanisée se forme. Des capitaux étrangers investissent. Des insuffisances sociales et politiques chroniques - comme l'Etat de droit, la lutte contre la pauvreté, contre la corruption par exemple - et celles créées par cette nouvelle économie - i.e. l'éducation, la santé, la morale publique, l'environnement - sont des points en retard de cette modernisation. A partir de 2008, les média d'Etat révèlent les incidents en mer et à ses frontières avec la Chine voisine, surpuissante, ce compagnon idéologique et partenaire économique important.

Ces événements viennent tester la solidarité et la solidité nationales. Un appel à l'union sacrée en temps de paix réinterroge l'expérience passée de la Réconciliation et de la Concorde nationales des temps de guerre.

La terre, l'histoire et la souveraineté, une trilogie nationale de l'identité politique.
L'intégrité du territoire continental et maritime a été réaffirmée dans les Accord de Paris par les trois parties vietnamiennes unanimes (la RDVN, le GRP et la RVN) et reconnue par les Etats-Unis, l'URSS, la France et la Chine. Un an après, la Chine outrepassant le statut quo des Accords et abusant de son statut d'allié de la RDVN, va occuper quelques îles vietnamiennes administrées par la RVN ennemie. Des soldats de Saigon y mourront pour défendre ce bout du territoire national. L'agression était manifeste mais les Vietnamiens entre eux avaient plus urgent à faire pour terminer la guerre : la Chine n'était pas à ce moment l'adversaire désigné, toute proportion gardée. Aujourd'hui, la Chine impose ce fait accompli au Vietnam unifié et affirme ses prétentions sur l'ensemble des deux archipels des Paracels et Spratleys. Cet acte d'occupation vaut seul et en soi pour principe de preuve, la légitimité du Vietnam de sa souveraineté sur ces deux archipels (2).

La conscience générationnelle et mémorielle pose trois interrogations d'éthique publique dans la gestion domestique vietnamienne de la crise. Comment moralement concilier la diplomatie, l'idéologie et le commerce avec le frère socialiste agresseur ? Dans quelle proportion intégrer dans l'histoire de tous les Vietnamiens, la légitimité du régime de Saigon pour sa part de défense du territoire national ? Que faire des cimetières militaires de l'ancien régime dans le respect traditionnel des défunts ? En général, l'histoire définit plus la souveraineté comme une identité d'attachement des hommes à leur terre et leur histoire qu'à des lectures événementielles, politiques ou idéologiques de cette même histoire.

L'histoire est faite pour rassembler et non pour sélectionner. Et en cela, l'histoire est l'image du politique mais elle ne fait pas (de) la politique.

Cette situation diplomatique et domestique créée par la Chine, devient le révélateur de l'unité nationale. Elle pousse à un nouvel élan populaire dans un Vietnam en paix. Elle fait revisiter la mémoire historique dont les relations avec ce pays voisin font parfois problème (2) mais imposent toujours des finesses stratégiques et tactiques depuis des millénaires. Prévalent aujourd'hui certaines tensions en société d'une confusion crée par cette provocation chinoise avec les mouvements de l'opinion publique sur ce sujet et sur d'autres par proximité et contagion. La stabilité sociale tient d'un équilibre entre la rigueur de la politique étrangère et la souplesse de politique intérieure devant les mouvements d'opinion des impatients et des indignés qui interpellent une diplomatie toujours lente et subtile, et des mécontents qui doutent de la détermination du régime à bien le faire. Aura-t-on suffisamment du temps pour aboutir à un délicat consensus général avec tout le monde ? L'information - ou la désinformation - devient très stratégique : il y a toujours une dynamique aigüe entre l'impatience populaire et la réactivité attendue gouvernementale. La diaspora vietnamienne courtisée mais divisée - 4,6 millions de personnes pour 90 millions d'habitants - pèse aussi dans cette situation. Le gouvernement renforce mais contrôle le sentiment populaire chauffé à vif par l'attitude chinoise. En même temps qu'il se félicite de l'esprit patriotique, il canalise durant l'été 2011, les rassemblements hebdomadaires antichinois à Hanoi qui pourraient prendre prétexte de ceci pour d'autres choses.

De façon universelle, jusqu'où un régime politique peut-il faire confiance à la perspicacité populaire spontanée ? Chaque homme cultive son sens intime de l'histoire soit par un bulletin de vote dans l'esprit d'un contrat social, ou par des manifestations non violentes d'indignation ou plus dans un esprit de révolte. Le sentiment de confiance est consubstantiel à celui de la légitimité quand le peuple exprime ses attentes, délibère et délègue ces deux sentiments là à ses représentants pour garantir la cohésion sociale.

Un Vietnam connaît une longue histoire de fractures.
De tout temps et partout, la question de la construction de souveraineté nationale cristallise le paradigme du héros ou de l'homme remarquable. Chez le Vietnamien, la référence à la renommée éthique est importante, le " danh vọng " [danh vong]. Dans les guerres française puis américaine, le clivage nord sud a été décuplé par des choix stratégiques entre les néo-réformateurs et les révolutionnaires, des choix tactiques entre la légalité ou la clandestinité et des choix de méthode entre la non violence et la violence, y compris la violence entre pairs.

Par leurs morts respectifs, chaque cosignataire des Accords avait assumé en 1973, sa part solidaire de légalité, y compris le régime de Saigon administrateur et défenseur des îles. Depuis, la RSVN porte seule l'histoire nationale et prend tout l'héritage légitime de ces Accords. A juste titre, elle remet comme argument d'actualité de la souveraineté vietnamienne, l'occupation chinoise des îles en 1974. Le sentiment patriotique est aussi un patrimoine culturel. Il n'est pas le monopole d'un camp contre l'autre et cela concerne en temps de paix le peuple face à une cause commune, que ce soit pour le développement ou contre une adversité.

La Réconciliation et la Concorde nationales étaient écrites ainsi dans le texte des Accords de Paris de 1973 car elles étaient présentes depuis toujours dans le coeur des Vietnamiens. Cette affaire est donc morale et elle remonte à très loin dans l'histoire. Ce principe d'éthique condense leur histoire nationale faite de fractures bien plus anciennes que celles de ces deux dernières guerres française et américaine. L'âme vietnamienne d'être soi et entière - la Vietnamité - a besoin de forclore cette dernière guerre mondialisée et ses séquelles, comme la dernière des dernières. Elle a aussi besoin de reprendre ses racines avec ses diversités et accéder ensemble à la modernité.

Dès le début du XVIe siècle (5), la dynastie des Lê Postérieur (1428-1527)était déjà en faillite. Des " shogunats " dépiécaient le pays pendant presque un siècle bien que la Chine impériale par intérêt et pour diviser voulut toujours diplomatiquement soutenir cette dynastie. A partir de 1627 et jusqu'à 1787, émergeaient de la situation deux seigneuries, les Trinh (et les Mac) au nord et les Nguyên au sud. Ils se partageaient l'administration du pays Viet. La rivière Linh Giang (nom actuel, rivière/sôngGianh) - province Quang Binh - séparait déjà la population. Plus tard, l'histoire appellera les Trinh " ceux de l'extérieur " (le Đàng Ngoài, siège Hanoi) et les Nguyên " ceux de l'intérieur " (le Đàng Trong, siège GiaDinh-SaiGon) qui vont devenir le nouveau centre de gravité de l'histoire. Le roi Quang Trung (1788-1792) venant du centre Vietnam fit une première tentative d'unification qui se termina dans le sang, vaincu par un Nguyên rescapé du sud, Nguyên Anh. Celui-ci reprendra à son compte cette ambition nationale et avec ses troupes de GiaDinh-SaiGon, remontera du sud vers le nord. En 1802, il terminera son oeuvre de réunifier le Vietnam dans sa morphologie que nous connaissons toujours aujourd'hui. Sous le nom de Gia Long (1802-1820), il fondera la dernière dynastie vietnamienne des Nguyên. La capitale sera déplacée à Hué, au centre du pays, à équidistance des pointes nord et sud du pays. Une aristocratie de cour loin du peuple, voit le jour pour la première fois. Le " áo dài " est créé pour faire sortir les femmes de leur foyer, toutes égales les unes aux autres par cette tunique nationale.

L'appel vietnamien aux forces étrangères datait déjà de cette époque lointaine. Au nord, les Trinh cherchaient l'alliance de la Hollande - qui renonça, priorité vers les Indes Néerlandaises, future Indonésie -. Au sud, les Nguyên demandait l'aide de la France d'abord missionnaire, commerçante puis colonisatrice qui ne lâchera plus son emprise sur le pays. Tout au long de cette longue période de partition, la culture, les idées, les hommes ont circulé dans les deux sens entre le nord et le sud. Des générations successives ne cessent de revendiquer pour elles un même corps historique, un même art de vivre pour une terre fracturée mais vécue comme unifiée par la même langue et le même destin. Le successeur de Gia Long, Minh Mang (1820-1840) continuera l'ouvrage et les réformes de l'Etat en déconsidérant la population du sud comme inculte (1). En ce même temps, toute l'Asie du XIXe siècle était déboussolée par l'arrivée des puissances occidentales qui se partageaient déjà le monde. Cette orthodoxie confucéenne centralisatrice sera renforcée par ses successeurs jusqu'à l'entrée officielle et imposée en royaume d'Annam de la France en 1858. Le clivage nord sud a été l'instrument de gouvernement des Nguyên. Il sera utilisé par l'administration coloniale pour ôter aux indigènes, leur unité et force morales de vouloir l'indépendance. Le Vietnam en trois parties n'avait plus de nom. Le Tonkin au nord et l'Annam au centre seront sous protectorat français. La Cochinchine au sud aura le statut de colonie, et les autochtones celui de sujets d'un Empire français que gère la République sans état d'âme, ni contradiction morale et politique. Pour preuve, un seul enseignement est dispensé aux autochtones dont les ancêtres étaient gaulois. On leur apprendra le sens de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité comme des valeurs universelles.

Les premières agitations, conservatrices ou modernistes, étaient toutes patriotiques. Commencées bien avant cette année 1858, elles devenaient des combats armés, légalistes ou littéraires plus organisés au XXe siècle, d'abord contre le colonialisme français puis contre l'occupation japonaise. Profitant de la vacance de pouvoir à Hanoi créée par un Japon impérial vaincu et une France affaiblie sur le retour, Ho Chi Minh y proclama unilatéralement l'indépendance du Vietnam. On est en 1945. Son premier discours avait des accents proches de la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis alors que le pays était encore occupé. Ce sera la bataille décisive de Dien Bien Phu qui forcera la France à lâcher l'Indochine par les Accords de Genève de 1954. Ils prévoyaient la toute première élection générale du Vietnam dans un délai de deux ans. Cet événement voulu et attendu par tous avec une supervision internationale sera tronqué, la démocratie trahie et aucun pays garant de ces Accords ne s'en indignera. En effet pour organiser son retrait, la France avait déjà passé la main aux Etats-Unis. Les Vietnamiens furent privés de cette expérience fondatrice que devrait être le processus démocratique d'unifier pacifiquement leur pays. En lieu et place de ces élections, le " monde libre " en pleine guerre froide va installer en 1956 au Sud-Vietnam une seconde administration vietnamienne (la RVN, capitale Saigon). Elle créera sa nouvelle armée et sera la symétrie idéologique du Nord-Vietnam dans l'esprit de Yalta et selon le schéma coréen tout frais et tout proche. La ligne de démarcation - le 17è parallèle au niveau de la rivière Bến Hải au sud du Gianh (anciennement Linh Giang) séparant autrefois les Trinh et les Nguyên - devint une frontière hermétique. Le nord Vietnam devait s'adosser à la politique maọste de la Chine voisine et jouer l'équilibre avec l'URSS pour avoir de l'aide - et faire en contre partie une réforme agraire sanglante (8). Cette incomplétude des Accords de Genève de 1954 étaient aussi morale. Elle escamotait le libre arbitre des hommes en poussant leurs régimes dans les positions stratégiques, idéologiques, religieuses extrêmes. Le Vietnam restera ainsi encore coupé en deux parties, obligeant les hommes à des radicalités cruelles. On comprend combien les Vietnamiens des Accords de Paris de 1973 voulaient à tout prix réparer cette injustice historique par le principe de la réconciliation nationale et de la concorde. C'est dans cet à-tout-prix, qu'il y a eu un climat affectif étrange fait d'espérance et de lassitude populaires, de romantisme naïf, de manoeuvres idéologiques et d'astuces diplomatiques dans un désir confus de paix.

La fracture humaine a été cette fois-ci plus traumatique qu'au cours des deux derniers siècles. Les premières luttes d'indépendance étaient nationales, menées de façon dispersée et intuitive dès 1858 au nord comme au sud. A partir de 1945, venait se greffer le poids de la guerre froide avec des modèles politiques, des thèmes idéologiques et religieux structurés pour accentuer les clivages nationaux. Après les Accords de Genève de 1954, la France et les Etats-Unis organiseront un important exode vers le sud de victimes de la réforme agraire, des intellectuels, des catholiques avec un projet politique clair. Il s'agissait de former avec eux, la base politique du futur appareil de pouvoir du Sud-Vietnam dont la population est majoritairement bouddhiste et rurale. A partir de 1956, le Vietnam va connaître deux Etats - la République Démocratique du Vietnam (RDVN) au nord et la République du Vietnam (RVN) au sud -, deux idéologies, deux armées pour un peuple, une culture, un destin. Le découpage territorial et politique par l'étranger avait en contrefeu la longue culture d'unité des Vietnamiens et leur volonté d'empêcher toute sorte de schisme. Les Accords de Paris de 1973 auront réactualisé cette mémoire d'unité. Le prochain anniversaire de ses 40 ans pourra peut-être apporter cette prise de conscience et de distance que la nation a été enrôlée dans la guerre froide planétaire par une guerre entre deux armées vietnamiennes qui n'avaient voulu, au fond, jamais s'anéantir. Quelqu'un devait psychologiquement et politiquement céder en premier, consciemment ou involontairement comme le maillon faible.

Le courage politique dans ces Accords était d'avoir écrit les principes de Réconciliation et de Concorde comme la quintessence de l'esprit d'humanité devant la cruauté de la guerre du Vietnam. C'était la motivation profonde du prix Nobel de la Paix décerné aux parties signataires. C'était formellement admettre qu'entre Vietnamiens, il y avait aussi la réalité douloureuse d'une guerre intérieure sans nom, que celle-ci a été engendrée par une guerre totale mise au premier plan comme le champ de bataille visible de la guerre froide, si emblématique par son nom de " guerre du Vietnam ". S'il y avait eu de l'hostilité entre les gens par circonstances, il n'y avait pas eu de haine profonde entre les Vietnamiens. Leur guerre du Vietnam fut aussi la guerre au Vietnam. La commémoration des Accords de Paris ne peut 40 ans après, éluder cette plaie douloureuse au risque de laisser les événements chinois réutiliser le clivage entre Vietnamiens et encore les diviser.

Ce besoin unitaire opère ces temps-ci un retour mémoriel des Vietnamiens sur leur histoire interne ; et la trace laissée par les invasions et les longues occupations étrangères passées rend l'âme nationale encore plus réactive.

Après l'offensive de conquête des villes par les maquisards lors du Têt 1968, une Conférence de paix fut convoquée à Paris pour trouver une solution plus honorable au conflit. Elle traîna jusqu'en 1973. La signature des Accords de Paris tombait juste pour réveiller le mythe symbole originel des Vietnamiens d'être tous enfants de Âu Cơ [Âu Co] unis et différents entre eux comme dans une famille. Emergeant de sa mémoire mythique, la conscience collective remet dans l'actualité le souvenir de la Conférence du " Hội Nghị Diên Hồng " [hoi nghi dien hong]. En 1284, le roi Trần Thánh Tôn [Tran Thanh Tôn] réunissait les sages du pays pour requérir leur avis sur l'unité nationale et faire l'union sacrée face à l'ennemi. Chez le Vietnamien, cette conscience unique de l'histoire pouvait se renouveler : les différentes parties vietnamiennes se retrouvaient pour la première fois à Paris pour parler entre elles de l'avenir avec en face d'elles, une puissante armée étrangère qui ne demandait qu'à partir. L'esprit de ces Accords devait rendre plus évident encore ce besoin.

La réconciliation comme une éthique universelle contre la pensée unique.
Ces deux principes de Réconciliation et de Concorde des Accords de Paris exigent une complétude morale. Il est illusoire de croire que le traumatisme vietnamien - parce qu'il a été long, tragique et international - s'oubliera de lui-même avec le temps, comme son histoire domestique l'aurait voulu croire possible. La période moderne demande cette fois-ci, d'avoir le courage politique d'une éthique publique et de dépasser l'idéologie propre aux événements sans renier son historicité. L'esprit de concorde des Accords de Paris ne peut par définition, servir à inspirer un toujours gagnant et un toujours perdant de l'histoire et dans l'histoire, qu'en même temps à concevoir la solidarité contre l'adversité et la mansuétude entre soi selon une lecture restreinte de cette même histoire. C'était ce même principe qui avait prévalu dans la réconciliation du Vietnam avec la France puis les Etats-Unis, qu'il faudra bien l'envisager aussi aujourd'hui entre Vietnamiens.

Une différence de tempérament des gens et de température entre les régions du nord et du sud existe. La colonisation française puis la théorie des dominos de la guerre froide l'avait instrumentalisée pour justifier le slogan : un peuple, deux Etats. Toutefois, ce slogan - une pure antithèse de la culture - avait échoué au Vietnam puis en Allemagne, pour dire que le patriotisme - un sentiment identitaire probablement universel - est d'abord un sentiment collectif d'amour plus visible en temps de guerre qu'en temps de paix.

L'éthique du monde était si horrifiée par la barbarie de l'Etat nazi qu'elle pensait en guérir par une pensée rationaliste universelle issue d'un XIXe siècle scientiste. Y aurait-il alors une idéologie providentielle de la délivrance et de la liberté qui soit LA science ? Le principe de la division du monde s'était imposé à Yalta comme une réalité qui devait prendre l'idéologie - telle une croyance - comme une nouvelle ligne de partage. Chaque côté avait " sa conviction du Bien, du Juste, du Pur et du Vrai " pour persuader, dominer l'autre. Tel camp dispensait ses convictions comme la meilleure d'être une néo-théologie libératrice de tout ou bien tel autre camp de s'en servir comme une thérapeutique séculaire contre le nouveau mal incarné par le Soviétisme. Et il fallait pour chacun persuader son camp et trouver un champ de bataille servant de soupape à la Guerre Froide. Le monde du XXe siècle était paranoïaque de ses " identités " idéologiques hypertrophiés toutes issues de la culture politique occidentale. Elles se justifient intimement du terme de chauvinisme, de puissance souveraine, d'être le berger ou le guide d'avant-garde conduisant le monde vers le progrès ou la liberté comme le maître à penser des hommes. Et elles savent proposer volontiers aux autres - aux petits pays et petites nations qui sortent de la colonisation - des faux semblants que sont le développement séparé, le partage du travail et du profit, l'internationalisme ou la globalisation. L'ersatz contemporain de cette prétention universaliste serait la mondialisation consumériste et financière d'une planète oecuménique des " classes moyennes " qui par ignorance et nécessité font confiance aux banques, à leurs agents spéculateurs et aux agences de notation transnationales, tous dans une connivence implicite. Que se passera-t-il si tous les pays du monde seront endettés ? Comme conséquence humaine imprévisible de cette conviction en la seule vertu de la finance, c'est l'explosion de ces mêmes ressources identitaires sous les formes les plus inattendues où chacun veut être fort de ses revendications narcissiques, communautaires, locorégionales, religieuses, culturelles pour se protéger dans le protectionnisme...

Réconcilier, c'est réparer l'égoïsme et les erreurs des hommes et de l'histoire dans le sens d'une plus grande altérité de tolérance. Pratiquer la concorde, c'est prendre les différences et les diversités pour en faire un consensus d'équilibre du lien social. La pulsion de réconciliation et de concorde est universelle ; elle se pose maintenant en terme mondial, elle assure la cohésion sociale, le progrès et le bien-être général. Elle est l'éthique même de la pensée démocrate qui ne se contente de créer par scansion électorale et à date fixe, une majorité pour négliger une minorité et de se renouveler ainsi par ses élites - tout marketing aidant -. Le démocratique ne se régule jamais seul par le juridique ou le politique, ou se sanctionne par une procédure de votation ou un tribunal international. L'utopie philosophique de la réconciliation appelle au réalisme de compenser sans cesse les inégalités, les égoïsmes et les antagonismes d'intérêt de classes. L'unité existe parce qu'existent de la variété identifiée et des différences à connaître ; elle n'est pas l'unanimité mais consensuelle. Cette dialectique fait le mouvement humain et elle laboure encore les continents, les peuples et les hommes.

A la phase suivante, la vraie modernité politique est considérer le bon moment qui dévoile l'éthique publique au-dessus des débats idéologiques un moment nécessaires aux délibérations populaires. Sa finalité est de bâtir et entretenir le sens du bien commun à la source du contrat démocratique avec l'histoire (7). On peut appeler cela la sagesse perfectible des peuples. Nelson Mandela avait réussi en Afrique du Sud l'oeuvre espéré de M. Gandhi au moment de la partition de l'Empire Britannique des Indes, de persuader les hommes de se réconcilier d'abord avant de nommer ce qui les sépare. Le paradigme politique mondial actuel de la violence s'est déplacé. Il se cristallise sur les réponses à apporter au réchauffement climatique général et aux problèmes de santé globale (pandémies, pollutions, accidents du travail...) sauf si par un cynisme inavoué ou des égoïsmes financiers ou nationaux, on laissera certaines populations disparaître dans la même logique que d'agréer la disparition de certaines espèces animales et végétales comme une fatalité.

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Bibliographie :

(1) - Choi Byung Wook: Vung dat nam bo duoi trieu Minh Mang, Hanoi, Edt The Gioi, Hanoi, 2011.(Traduit de: Southern Vietnam under the Reign of Minh Mang (1820-1841). Cornell Univ., 2004.)

(2) - Editions en langues étrangères: L'agression chinoise contre le Vietnam, Hanoi, 1979.

(3) - Fairbank J.K, Goldman M.: Histoire de la Chine. Des origines à nos jours. Paris, Tallandier, 2010. (Titre original : China, A New History, Harvard College, 1992,1996,2006).

(4) - Le Duan: Xay dung nen van hoa moi con nguoi moi xa hoi chu nghia, NXB Van Hoa, Hanoi, 1977 (Bâtir un socle de culture nouvelle, l'homme nouveau socialistes).

(5) - Lê Thanh-Khôi: Le Vietnam. Histoire et civilisation. Paris, Edt de Minuit, 1955.

(6) - Luong Can Liem: Psychologie politique de la citoyenneté, du patriotisme, de la mondialisation, Paris, L'Harmattan, 2002.

(7) - Luong Can Liem: Conscience éthique et Esprit démocrate, Paris, L'Harmattan, 2009.

(8) - Marangé Céline : Le communisme vietnamien, Paris, Les Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2012.

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