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LA COMPASSION TRANSCENDEE
l ' " Oraison pour le rachat des âmes abandonnées "

attribuée à Nguyên Du

Quach Thanh Tam


Présentation
Van Chieu Hon (Traduction française)
Van Chieu Hon (Version vietnamienne)

Les Viêtnamiens côtoient quotidiennement le monde des morts. Ce monde des ténèbres est conçu comme ayant les mêmes besoins que celui des vivants, mais il revêt cependant un aspect plus terrifiant puisque les punitions selon la loi du karma y sont d'une incommensurable durée. Le culte des morts, dont fait partie le culte des ancêtres et dans une certaine mesure celui des génies, a donc pour but non seulement de pourvoir aux besoins des disparus mais aussi d'obtenir le rachat de leur peine.

Une fête du calendrier traditionnel sino-vietnamien, celle du 15e jour du 7e mois du calendrier lunaire, correspondant à la fête de la mi-année des taoïstes (têt Trung Nguyên), illustre la complexité de la perception que les Viêtnamiens se font de l'au-delà (1).

Ce 15e jour du 7e mois est en effet le jour de la célébration du Vu lan bao hieu (ullumbana) (2)des bouddhistes. Ce jour marque la fin de la retraite de perfectionnement des bonzes durant les trois mois pluvieux de l'été (varsavana: an cu kiêt ha). Les moines en ressortent purifiés et plus riches dans leur connaissance de la Loi bouddhique (3). Les prières que, regroupés en grand nombre, ils psalmodient en ce jour sont alors particulièrement efficaces. De même, les offrandes qui leur sont faites à cette occasion ont-elles des effets amplifiés. Le Vu Lan bao hiêu est cependant plus qu'une simple cérémonie de prières pour le repos des âmes, il est un acte de charité sublimée: non seulement les moines prient pour la remise des peines des péchés, mais ils prennent également ceux-ci en charge. Ainsi le 15e jour du 7e mois est-il " le jour du pardon des âmes" (ngày ràm xa toi vong nhan), c'est-à-dire que l'on croit qu'en ce jour les âmes des personnes décédées, plus ou moins lourdement condamnées pour leurs mauvaises actions durant leur vie passée (selon la rétribution des actes ou la loi du karma), peuvent être amnistiées.

Toutefois, sous les conceptions bouddhistes, se manifeste la permanence de conceptions populaires. Autrefois, on croyait aussi qu'au 15e jour du 7e mois les portes de l'enfer s'ouvraient, libérant une cohorte d'âmes affamées, nues, en quête de nourriture et d'habits. Les familles offraient alors des repas à leurs ancêtres ainsi que des papiers votifs brûlés au terme d'une cérémonie qui pouvait avoir lieu chez les particuliers, aux cimetières (4), dans les endroits de passage (relais, ponts) ou à la pagode. Les familles frappées par un deuil récent, invitaient les bonzes chez elles pour faire dire des prières pour la paix de l'âme du défunt. Mais les offrandes pour les ancêtres (5)s'accompagnaient toujours d'un plateau déposé à l'entrée de la maison pour les âmes errantes. On procédait à ces rites autant par obligation morale, par crainte et par pragmatisme que par charité spontanée envers ces dernières : les vivants s'assuraient de cette façon la tranquillité de la part des âmes affamées, car les morts insatisfaits pouvaient devenir menaçants, véritables démons destructeurs. Les vivants permettaient de même que leurs défunts puissent ainsi avoir plus sûrement accès aux offrandes qui leur étaient réservées.

Les offrandes aux âmes affamées consistaient en une simple soupe de riz versée dans des cornets de feuilles de banian (chao la da), quelques fruits (en général des bananes), des gâteaux de riz gluant en forme de pyramides tronquées (oan), du thé, quelques papiers votifs... En ce jour de pardon, les prières étaient plus importantes et plus efficaces que la quantité ou la qualité des offrandes.

Aujourd'hui, si beaucoup d'éléments du rituel ont disparu, les prières pour l'amnistie des damnés sont toujours dites - car la croyance à une survivance après la mort se maintient -, le plus souvent à la pagode et, il est vrai, par des assemblées en majeure partie composées de femmes âgées (6).

Enfin, le 15e jour du 7e mois était une fête d'Etat. C'était l'occasion de promotions de fonctionnaires, de levées de punitions, de relaxations des détenus pour délits légers et d'exemptions de travail pour les forçats (7). Mais surtout, en ce jour - et comme cela se pratiquait après chaque victoire -, était ordonnées et célébrées des cérémonies pour le repos des âmes des soldats morts au champ de bataille, souvent sans sépulture et parfois privés de culte domestique. Expressions de reconnaissance nationale et culte patriotique, ces cérémonies revêtaient également un caractère d'exorcisme: elles permettaient d'apaiser ces morts au combat, dans un lieu de violence parmi toutes les violences, morts mutilés dont les souffrances ne s'étaient pas éteintes avec le souffle de la vie.

Les pagodes, quant à elles, prenaient le relais pour célébrer, toujours le même jour, un culte à toutes les "âmes délaissées ", en général victimes de mort violente (8).

"... Mais que d'âmes délaissées! Les âmes des mendiants qui sont tombés au bord d'un chemin, et dont quelques pelletées de terre ont à peine recouvert le corps; les âmes des jeunes gens, surtout celles des jeunes filles mortes avant le mariage, principalement l'âme de la "Dame Tante paternelle", la vieille fille de la maison morte sans postérité; les enfants mort-nés, les personnes victimes d'un accident, d'un crime, mortes de mort violente; les guerriers qui tombent sur le champ de bataille, les personnes qui succombent dans une émeute, les noyés, les criminels qu'on décapite, et tant d'autres, de millions d'autres, qui forment la vaste cohorte des "âmes abandonnées"... " (9).

Le caractère particulier de la fête de la mi-année (Trung Nguyên) inspira plus d'un homme de lettres vietnamien, qui composèrent pour cette occasion des oraisons évoquant avec plus ou moins de bonheur l'atmosphère à la fois libératrice et empreinte de pitié et de crainte envers cette multitude de damnés.

L'usage de lire des oraisons lors de la célébration par les moines de la fête de Vu lan dans les pagodes relève d'une tradition ancienne. Nous possédons, par exemple, une composition de Lê Thanh Tông (1460-1497), le Thâp gioi cô hôn quôc ngu van (Texte en langue nationale [pour le culte] des dix catégories d'âmes errantes). Nous possédons également des compositions similaires (10), souvent anonymes, déposées dans des pagodes à l'usage des bonzes qui célébraient et célèbrent encore annuellement le culte des morts abandonnés; ainsi, par exemple, les invocations pour la célébration du Mông Son thi thuc (Les dons de nourriture aux âmes errantes lors de la fête de Mông Son) (11).

Ce sont ces oraisons et ces textes qui auraient inspiré le Van Chiêu Hôn, 1' " Oraison pour le rachat des âmes abandonnées " (ou Van Te Thap Loai Chung Sinh), chef-d'oeuvre de la littérature en nôm composé probablement au début du XIXe siècle et attribué à Nguyên Du et où la compassion se trouve comme transcendée.

Il s'agit là d'un long poème de 184 vers, composé selon le mode 7-7, 6-8 pieds (ngâm khuc) utilisé dans les oeuvres où l'intrigue et l'action cèdent la première place aux sentiments. Tristesse, nostalgie, désolation, révolte, compassion sont servies par un rythme proche de la déclamation et par des rimes assez libres - procédé par exemple utilisé par Nguyên Gia Thieu (1741-1798) pour sa " Complainte de l'odalisque " (Cung oan ngâm khuc), ou par Doan Thi Diêm (1705-1748) pour sa "Complainte de la femme du guerrier " (Chinh Phu ngâm).

L'ensemble est divisé en 4 parties. La première (20 vers) décrit le lieu et l'ambiance du culte (on dresse un autel pour demander la levée des peines des âmes). La deuxième partie (116 vers) évoque ce que furent l'existence et le sort des dix catégories de morts condamnés à errer sans fin. La troisième partie (20 vers) déplore leur peine et leur souffrance. Et la quatrième partie (28 vers) est un acte de foi en la puissance miséricordieuse du Bouddha capable de sauver ces âmes.

Le texte utilisé ici est celui minutieusement étudié par Hoang Xuân Han en 1977 (12). En 1992, il a été réédité en tirage à part par l'Institut bouddhique de la Forêt des bambous (Truc Lâm thiên viên) sous le titre " La fête du Vu Lan et les oraisons pour le culte des âmes errantes ".

Hoang Xuân Han, lettré et historien, l'a non seulement annoté mais aussi comparé à d'autres versions du même poème (13)ainsi qu'aux compositions similaires, souvent anonymes, que j'ai évoquées. De même l'a-t-il, par une solide argumentation, attribué à Nguyên Du (pseud.: Tô Nhu ou Thanh Hiên ).En tout cas, si l' "Oraison" n'est pas du grand poète, elle fut écrite au moment même où celui-ci avait atteint sa maturité, au tout début du XIXe siècle, et l'évocation de la vie de Nguyên Du comme de la période où il a vécu peuvent tout à fait servir, au moins par analogie, à éclairer la genèse de cette oeuvre.

Né le 3 janvier 1766 à Hà Nôi, mort le 16 septembre 1820 à Hué, originaire de Tiên Diên (Hà Tinh, Centre-Viêt Nam), Nguyên Du appartenait à une lignée de grands mandarins, serviteurs des Lê postérieurs (1428-1773). Orphelin très tôt, il connut une vie matérielle difficile mais, grâce à la solidarité familiale, il reçut une bonne culture classique. Quand les Tây Son (1773-1802), puis les Nguyên (1802-1954) prirent le pouvoir, il refusa de servir les nouveaux maîtres, fidèle en cela à l'idéal confucéen. Exhorté par ses amis, il entra cependant dans le mandarinat en 1802 et en gravit vite les échelons (grand chancelier, chef de mission en Chine en 1813-1814, vice-ministre).

Il laissa de nombreux ouvrages en chinois et en nôm, dont le célèbre Kim Vân Kiêu, considéré comme le chef-d'oeuvre inégalé de la littérature nationale viêt. Mais si, comme nous le croyons quant à nous, il composa 1' " Oraison pour le rachat des âmes errantes " - où l'on peut relever de nombreux passages rappelant le Kiêu (la compassion pour Dam Tiên, la courtisane sans culte; l'évocation des gens d'armes...) -, c'est dans ce poème assurément que, portées par une atmosphère propice, sa sensibilité, sa capacité à traduire la tristesse devant l'aspect éphémère, devant la futilité de toute chose en ce monde, ont trouvé le mieux à s'exprimer. Romantique avant la lettre, le lettré se joignit à l'artiste pour livrer dans une langue parfaitement maîtrisée, les frémissements d'un coeur compatissant et décrire les misères des opprimés.

Ceux-ci étaient en effet nombreux en ce temps où les luttes pour le pouvoir divisaient les dirigeants et où les troubles ravageaient le pays. Car l'époque de Nguyên Du fut on ne peut plus troublée.

Il vit le jour au moment où le pouvoir échappait, au Nord, aux seigneurs Trinh et, au sud du Hoành son, aux seigneurs Nguyên. La cour de Phu Xuân (Huê) était alors dominée, entre 1765-1775, par les agissements despotiques de Truong Phuc Loan. Le peuple sur qui pesaient corvées et impôts divers s'appauvrissait. Au Nord, on se dirigeait vers la fin des Lê et des Trinh avec, par exemple, la révolte dite " des soldats orgueilleux " (loan kiêu binh) (1782-1786). Depuis le règne de Trinh Giang (1729-1740), le pouvoir était déstabilisé au fil des dépositions et des désignations arbitraires de successeurs. Trinh Giang avait déposé puis fait assassiner l'empereur Lê Duy Phuong, qu'il avait remplace par Lê Thuân Tông. Durant leurs exercices du pouvoir, Trinh Doanh (1740-1767) puis Trinh Sâm (1767-1782) avaient dû réprimer révolte sur révolte. Mais ce fut avec la mort de Trinh Sâm en 1782 et avec la désignation de Trinh Can, son fils mineur né d'une favorite Dang Thi Huê, au détriment du fils aîné Trinh Khai que les désordres atteignirent leur comble. Le pouvoir était en fait aux mains d'un régent, Hoang Dinh Bao, et les luttes des diverses factions débordèrent bientôt du cadre du palais pour se dérouler dans la rue quand les soldats d'élite (uu binh) renversèrent Trinh Can et le régent pour le compte de Trinh Khai. Ces soldats devinrent à leur tour les maîtres réels, dont les exactions firent trembler la capitale.

La campagne, principale source des revenus du gouvernement et frappée par l'augmentation des impôts et des corvées, était saignée par les dépenses d'une cour luxueuse et d'un appareil administratif prolifique. Le banditisme, l'errance, la mendicité et la mortalité par manque de moyens de subsistance se développaient. Les cadavres parsemaient les routes, abandonnés sans culte. Les révoltes paysannes ou séparatistes, brandissant l'étendard du ralliement au souverain Lê, étaient nombreuses et multipliaient deuils, destructions, et séparations. Ce fut dans ce contexte d'éclatement qu'apparurent les Tây Son, dont le principal personnage, l'empereur Quang Trung/Nguyên Huê (1753-1792) fut considéré comme un héros sauveur. Vainqueur d'une armée chinoise venue occuper le Nord (14), il unifia le pays. Mais il lui manqua du temps pour améliorer la vie du peuple, et c'est dans l'écho à peine assoupi des armes que Gia Long (Nguyên Anh) monta sur le trône en 1802.

C'est donc plus qu'une simple fête qui prête son atmosphère si particulière à l'inspiration de 1' "Oraison pour le rachat des âmes errantes". Composée probablement avant 1813, celle-ci porte la marque des tragédies comme les accents d'un véritable appel à l'espoir. Destinées aux morts, les paroles du poète s'adressent tout autant aux vivants démunis.

L'enseignement des tragédies s'exprime en une longue complainte sur la condition humaine. Pour chaque catégorie d'êtres, quelques mots suffisent à souligner combien sont misérables, insignifiants et pathétiques les efforts de l'homme à la recherche du bonheur.

Voici les rois allant "en bandes [...], démons sans tête, implorant, pleurant dans la nuit pluvieuse ". Où est donc passée la grandeur de ceux qui exerçaient la charge suprême, des "pères et mères" du peuple? Quelle dérision que cette incapacité même des tenants du mandat céleste à se préserver intacts! Que d'exemples de rois et de princes au pouvoir éphémère, condamnés à mort, exécutés, la période où vécut l'auteur n'a-t-elle pas fournis!

Voici les jeunes filles de bonne condition errant " sans but sur les marais aux joncs, sur la lande aux myrtes ". Il n'est pas de paysages plus pathétiques, plus chargés de mystères et de désolation que ces landes, maquis, collines de myrtes exposés au soleil, que ces marais aux joncs bruissant de bruits inquiétants, pour faire sentir combien la femme est seule et insignifiante face à son destin, fût-elle fille de noble ou de puissant, aussi belle et douée fût-elle.

Voici les grands mandarins aux prises avec mille fantômes se bousculant autour d'eux, guettant leur trépas pour réclamer justice. Le pouvoir de vie et de mort détenu par un Hoang Dinh Bao ou un Truong Phuc Loan les a-t-il sauvés eux-mêmes?

Voici les généraux qui font tuer " la multitude des combattants pour le service d'une seule personne ". La critique est à peine voilée. Il n'est pas question ici de sacrifice dû à son seigneur, ni de devoir viril. Et il est difficile de ne pas penser, en lisant ces lignes, aux cris de la femme du soldat enrôlé portés par les vers de Doan Thi Diêm dans "La complainte de l'épouse du soldat ", cris de révolte de toute femme qui aspire à un simple bonheur devant tant de guerres, de tueries inutiles.

Voici les chercheurs de richesse qui ne peuvent " emporter une seule pièce quand vient le moment du grand départ "; ils sont pleurés par des professionnelles, ils sont ensevelis à la hâte. Ainsi s'exprime la vanité de l'argent, dans une société pétrie par les vertus confucéennes de l'honnête homme, où le haut de l'échelle était cependant occupé par un mandarinat qui n'était plus que l'illusoire garant de ces vertus.

Voici les chercheurs de gloire qui s'aventurent en ville, et croient pouvoir vivre de leurs connaissances des lettres. Pointe là une certain scepticisme quant à l'utilité ou à l'utilisation des connaissances. L'auteur devait appartenir à un milieu cultivé mais n'y-a-t-il pas quelque amère allusion autobiographique dans la description de la vie des étudiants, pauvres, démunis, esseulés, parcourant le pays à la recherche d'un maître ou pour se présenter au concours de la capitale - la ville, lieu de tous les dangers?

Voici les marchands aventuriers qui ont "les épaules écrasées et rendues calleuses par leurs charges au bout du balancier de bambou". En quelques mots sont résumées à la fois la dimension du commerce, la nature du transport et la précarité des petits commerçants. Le ton du poème tranche avec le peu de considération que leur témoigne généralement une société où ils sont classés au bas de l'échelle. C'est un simple constat qui, notamment avec l'allusion aux épaules rendues calleuses par le poids du balancier en bambou, est empreint de commisération envers le petit peuple, preuve d'attention, de chaleur humaine, d'humanisme.

Voici les soldats morts au champ de bataille "buvant l'eau des gourdes, mangeant le riz contenu dans des tubes". Ici encore est cerné en quelque mots l'essentiel d'une existence précaire, sans véritable grandeur, qui contraste avec ce qu'en disent les discours usuels sur le devoir du soldat, les exhortations ou les poèmes mandarinaux exaltant l'héroïsme de la mort dans les combats. Ces vers rappellent encore ceux de Doan Thi Diêm:

Thiêp chang tuong ra nguoi chinh phu
Chàng ha tung hoc lu vuong tôn
Co sao cach tro nuoc non
Khiên nguoi thôi som thôi hôm nhung buôn

" Point je n'eusse cru être femme de guerrier / Vous n'avez - que je sache - imité les vuong tôn (15)/ Alors pourquoi ces eaux et ces monts entre nous? / Pour désoler sans cesse nos matins et nos soirs. " (16)

Voici les courtisanes, les misérables, les accidentés qui "lampent la soupe claire de riz", qui dorment "sur un oreiller de terre"; et les morts-nés qui pleurent "en petits cris sourds".

Par la puissance incantatoire du verbe poétique surgit et défile sur l'écran de la vie la cohorte des victimes du sort et de la violence - qu'ils ont parfois causée -, unies dans un même élan vers les bras du Bouddha de compassion.

Le Van Chiêu Hôn se présente comme un condensé des éléments constitutifs des croyances populaires vietnamiennes. Le bouddhisme est clairement considéré comme un dernier espoir et un dernier refuge au-delà des apparences. Parallèlement, s'expriment tout aussi nettement la crainte des morts abandonnés et la croyance dans le pouvoir protecteur du Bouddha contre les mauvais démons ainsi qu'en l'aura, protectrice pour tous, morts et vivants, du lieu saint qu'est la pagode.

Néanmoins, la croyance en une juste rétribution des actes ne suffit pas à se consoler des injustices si intensément déplorées. En cette oraison se livre l'âme sensible d'un auteur rempli de compassion, et souvent malgré eux, pour les êtres malheureux. Et le ton du poème en fait beaucoup plus qu'une simple exhortation à se bien conduire par peur du karma. Le tragique destin du monde invisible n'est que le reflet de la condition de l'humanité souffrante.

Certes, derrière l'interrogation sur la responsabilité du sort peu enviable des courtisanes par exemple, paraît s'exprimer le scepticisme d'un auteur qui ne croit plus en une société juste et équitable. Mais la condition humaine est présentée de façon telle, sans complaisance, qu'un des messages de 1' "Oraison" paraît être qu'il faut sans cesse et quotidiennement faire preuve de courage et d'espoir, dans ce monde comme dans l'autre. De même, derrière l'exaltation de la force salvatrice du Bouddha Amitabha, perce l'espérance d'une personne en quête de l'homme méritant, détenteur du mandat céleste capable de conduire la multitude vers une vie de paix et de justice. L'auteur ne prétend pas bouleverser l'ordre traditionnel; il aspire simplement à une vie normale, sans troubles. Mais il cherche justement un roi digne (minh chua) d'être servi après une longue période d'effritement du pouvoir légal. Il appelle de ses voeux la venue du bon gouvernement qui doit enfin s'imposer de lui-même; "Nhon nhon Tiêu Diên Qui Vuong" "bien décidé", au vu de tous, le prince "au visage indestructible [...] bannière miraculeuse à la main", qui devrait conduire tout le monde sans exception vers le bonheur. Ce souhait égalitaire, étrange dans une société qui était organisée sur une répartition bien définie des hiérarchies ("vous qui êtes arrivés, asseyez-vous selon votre rang"), résulte non seulement de l'influence d'un bouddhisme populaire - éloigné des préoccupations mystiques - , mais aussi d'une aspiration vers un renouveau par l'amour et la tolérance.

L' "Oraison" est un long chant de la miséricorde universelle et un message humaniste à l'aube du XIXe siècle.

Le Van Chieu Hon est également, nous l'avons dit, un chef-d'oeuvre de la littérature viêtnamienne. L'adaptation française que nous présentons ici vise avant tout à faire comprendre le texte et non à l'effet poétique (17). La traduction qu'en a faite Huu Ngoc (18) répond mieux aux exigences littéraires.

Du fait de notre parti pris, le texte ci-dessous ne saurait rendre toute la force, la qualité des vers et des descriptions. Les effets des intonations d'une langue variotonique, le rythme produit par une langue monosyllabique disparaissent, et le vers tombe platement alors que, par le verbe de l'auteur, c'est toute une atmosphère qui est magistralement campée. Voici un exemple, parmi de nombreux autres, de sobriété dans la description et de puissance dans le trait: pour mettre le décor en place, un peu comme à un lever de rideau, l'auteur a choisi deux mots populaires expressifs qui désignent à la fois une pluie qui s'éternise et des pleurs à grosses larmes; ainsi ce qu'on traduit en français par "En ce temps du 7e mois, il pleut sans discontinuité" (Tiêt thang bay mua dâm xùi xut) évoque-t-il en viêtnamien une ambiance de désolation humaine autant qu'une morose atmosphère climatique...

C'est dire que notre adaptation ne saurait également rendre toute la résonance émotionnelle de clichés usuels, mais que les poètes vietnamiens ont toujours su élever au rang de miroirs des sentiments. Traduits dans une langue étrangère, ces clichés deviennent banalités parfois redondantes, ainsi les belles femmes comparées à la lune, l'encre vermillon symbole de vie ou de mort, l'épingle brisée, le vase en miettes... Ils sont toutefois perçus par les Viêtnamiens comme autant de symboles toujours très forts, très évocateurs. L'image n'est pas appréciée pour sa vraisemblance ou son exactitude. Il importe peu qu'elle soit juste ou réaliste. Elle est appréciée pour quelque chose qui est au-delà de sa forme; ce sont les émotions des générations successives qu'elle réveille, qui sont rassemblées en elle et qui comptent en définitive.

Signalons enfin que, comme toute oeuvre livrée à l'usage populaire, le texte a subi d'importantes modifications d'une version à l'autre et que nombreuses en sont les variantes (19). L'anonymat apparent de l'ouvrage fait de lui une offrande sans limite à l'humanité réduite à l'égalité dans le désespoir, dont le dénuement moral est sans cesse rappelé par la végétation pauvre des landes et marais infertiles (joncs, bambous, myrtes), par la frugalité, la parcimonie des dons (claire soupe de riz, quelques gouttes d'eau).

Ecoutons à présent le poète.

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(1) - Les Viêtnamiens croient traditionnellement à la survie de l'individu par la persistance, après la mort, de ce qu'ils appellent hôn (principes vitaux supérieurs, au nombre de trois) et via (principes vitaux inférieurs, au nombre de sept pour les hommes et de neuf pour les femmes). Ces principes animent l'enveloppe charnelle de l'homme, laquelle est reliée à son esprit par un fluide (phach, "périsprit"). Cette croyance sous-tend le culte des ancêtres ainsi que les sacrifices aux défunts sans famille, sorte de "service social' de l'au-delà. Cela dit, la croyance en la métempsycose est venue influencer les représentations concernant l'autre monde. Selon cette croyance, chaque être peut prétendre au paradis, être condamné aux enfers, ou se réincarner en une vie meilleure ou sous une apparence inférieure en fonction des mérites ou des démérites résultant de ses actes. Mais avant d'être fixé sur son sort, le défunt doit passer par les " geôles infernales" (phong dô), administrées par le " Grand empereur des geôles" (phong dô Dai Dê) et situées sous l'entière surface de la terre -- ces geôles sont également appelées " services " ou " palais de l'Ombre " (Am ty ou Am phu). Dix rois des enfers, chacun disposant d'un pouvoir spécialisé, secondent le Grand empereur dans sa tâche de justicier suprême. Toutes les âmes en attente de transmigration passent donc par la première geôle infernale avant d'être jugées. Les huit autres geôles sont des enfers brûlants où les damnés sont condamnés à une peine extraordinairement longue avec des supplices particuliers à chacun de ces enfers (avoir les yeux crevés, bouillir dans un chaudron d'huile, être donné en pâture aux animaux féroces, avoir les os fendus, se faire écraser les chairs...), Cf. Toan Anh, Nêp cu, Saigon, Tin Nguong Viêt Nam, 1967, vol. 1, p. 296-317; Nicole Louis-Hénard (présentation et traduction annotée), P/ian Kê Binh,Viêt Nain Phong Tuc (Moeurs et coutumes du Viêt-Nam), Publications de l'EFEO, Paris, 1975, p. 267, 336-337; Léopold Cadière, Croyances et pratiques religieuses des Viêtnamiens, (2e éd.) Paris, EFEO, Paris, 1992 vol 1, p. 17.

(2) - Vu tan bôn ou utlurnbana ou avalarnba signifie " souffrance sans bornes ", ou " condamnation à être suspendu à l'envers " et, par extension, sauver les condamnés de cette peine. Mais la légende qui se rattache à cette célébration a fait naître d'autres interprétations, provenant surtout de personnes qui se réfèrent à la transcription phonétique en viêtnamien à partir du chinois. Dans Vu lan bôn, le dernier mot prend alors le sens de "grand récipient". Or, la légende raconte que Muc Liên ou Muc Kiên Liên (Moggalana), un grand disciple du Bouddha historique, voulait aller en enfer pour sauver sa mère, condamnée à être suspendue à l'envers et à une faim insatiable car les aliments prenaient feu dès qu'elle les portait à sa bouche; mais, suivant les conseils du Maître, il fit alors des offrandes aux Trois Joyaux (Triratna), le 15e jour du 7e mois, jour de la fin de la retraite annuelle pour le perfectionnement de la communauté des moines, afin que ceux-ci puissent soulager les peines de sa mère par leurs efficaces prières. D'où une des significations de la fête du Vu lan: fête du rassemblement de la communauté monastiques pour le rachat des peines des parents défunts, avec des prières et avec des offrandes de nourriture offertes aux moines et contenues dans un " grand récipient ".

Cette cérémonie est en premier lieu une manifestation de piété familiale, étendue à toute la parenté défunte. L'institut bouddhique de la Forêt des bambous, situé dans la région parisienne (Villebon-sur-Yvette) et relevant de la hiérarchie officielle du Viêt Nam socialiste, ainsi que d'autres pagodes indépendantes, insistent beaucoup sur cet aspect. A l'institut bouddhique de la Forêt des bambous, on associe les parents âgés à la manifestation en leur souhaitant longue vie et en leur offrant des fleurs. Le sermon de Thich Thiên Châu, supérieur de l'institut, publié à l'occasion du Vu lan 1992 est significatif: il insiste sur le sens élargi de la piété filiale, qui consiste à aider les parents à vivre dans le respect de l'enseignement bouddhique, estimant qu'en agissant ainsi, on pratique également la charité; cf. Revue sur le Vu lan, 24 (1992, an 2536 du calendrier bouddhique), Hô Chi Minh-ville, Association bouddhique du Viêt Nam, 1992, p. 4-6.

(3) - L'ancienneté dans la vie religieuse est comptée en nombre de retraites annuelles effectuées (ha lap), chaque période de retraite durant ces trois mois équivalant ainsi à un an de vie religieuse (tuôi dao). Cela permet, d'une part, de concilier la vie engagée dans le monde (nhâp thê) et la vie de renoncement (xuât ihê), apparemment inconciliables, et, d'autre part, de respecter la prolifération de la vie sous toutes les formes durant ces mois humides et chauds; cf. Hoang Phap (Propagation du Dharma), n°63 (juillet 1991), journal édité par l'Association bouddhique Linh Son (Tu Viên Linh Son), Joinville-le-Pont, p. 6-9.

(4) - Chaque village possède son cimetière appelé encore " forêt froide " (hàn lâm). On y construisait des petits pagodons ou des estrades à ciel ouvert pour le culte de toutes les âmes délaissées, appelés " pagodons pour âmes errantes " (am chung sinh). Autrefois, un médium entretenait l'encens et priait du matin au soir. Tous les premier et quinte du mois, durant l'été, on offrait à toutes les âmes du bouillon de ni dans des cornets de feuilles de banian. Cf. N. Louis-Hénard, Phan Kê Binh..., op. cii., vol. 1, p. 132.

(5) - Au moment du Vu lan mais aussi lors des anniversaires de décès ou en toutes autres circonstances où les défunts étaient honorés.

(6) - Nous avons assisté à la célébration du Vu lan en août 1991, lors d'une visite dans plusieurs pagodes du Viêt Nam dont la pagode de Ouan Su (Auberge des ambassadeurs), la première dans la hiérarchie officielle, à Hà Nôi, et celle de Liên Hoa Nhât Tru (Unique colonne de prière en forme de fleur de lotus) dans la province de Ninh Binh. Il y avait une nombreuse assistance dont beaucoup de femmes âgées. Les sacrifices se renouvelaient durant la journée; les visiteurs offraient des dons en argent et en offrandes, et recevaient des gâteaux de riz en forme de pyramide tronquée (oan). Partout, nous avons entendu les invocations au Bouddha de miséricorde.

(7) - N. Louis-Hénard, op. cit., vol. 1, p. 267.

(8) - Nous avons vu (cf. note 2) que la cérémonie du Vu Ian était en premier lieu destinée au salut des parents défunts. Comment s'est effectué l'élargissement à toutes les âmes abandonnées? La réponse serait à chercher dans la miséricorde enseignée par le bouddhisme mahâyâna mais aussi dans la crainte, présente depuis la nuit des temps, des démons et fantômes livrés à eux-mêmes. Hoang Xuân Han, citant le Grand dictionnaire du bouddhisme et le témoignage de vieux vénérables a proposé de rechercher dans l'histoire d'Ananda et du démon affamé Diêm Khâu (Elégante bouche) une justification de cette extension. Selon cette histoire, Ananda rencontra, par une nuit déserte, un démon crachant du feu, du nom de Diêm Khâu ou Diên Nhiên (" Visage intact ", c'est-à-dire insensible au feu qu'il crache). Ce démon affamé, très laid, Le cou fort maigre, lui prédit une mort proche et qu'il serait lui-même transformé en démon famélique. Effrayé, Ananda lui demanda s'il était possible d'échapper à un tel sort et le démon répondit qu'il pourrait vivre plus longtemps et, enfin, monter au ciel s'il pouvait offrir le lendemain une mesure de vivres a chacun des nombreux démons affamés. Ananda s'empressa de relater l'incident à son Maître le Bouddha; celui-ci lui donna une formule magique (dhârani) qui lui permit de fournir la quantité de nourriture prescrite à la multitude des démons. Selon certains vénérables, Diêm Khâu est l'une des nombreuses manifestations de Quan âm (Kouan Yin, cf. infra note 26) conduisant la cohorte des morts affamés vers le salut. Cf. Hoang Xuân Han, " Lê Vu Lan voi van tê cô hôn" (La fête du Vu lan et les oraisons pour les sacrifices aux âmes abandonnées), Tâp Chi Van Hoc (Revue d'Etudes littéraires), Institut d'Etudes Littéraires, Ha Nôi, n° 2 (1977), p. 117-145; cet article a été repris en tirage-à-part en une publication de l'institut bouddhique de la Forêt des bambous (Truc Lâm Thiên Viên), Villebon-surYvette, 1992: c'est à la pagination de ce tirage-à-part que nous renvoyons au fil des notes suivantes.

Le Vu lan est donc une fête de piété filiale, au sens large, une fête de charité mais aussi une cérémonie bouddhique d'exorcisme, destinée à empêcher les mauvais démons de nuire en les sauvant et non en les punissant. Signalons que dans le déroulement des cérémonies du Vu lan 1991, à la pagode Linh Son en région parisienne, des sacrifices (chân tê) aux âmes abandonnées ainsi que des séances de méditation (thiên dinh) étaient programmés; cf. Hoang Phap, op. cil., p. 41.

(9) - L. Cadière, op. cil., p. 18.

(10) - Hoang Xuân Han signale, par exemple, l'existence d'autres textes destinés aux sacrifices des âmes errantes célébrés dans les pagodes, textes regroupés dans un recueil intitulé Le Tung Hành Tri Tâp yêu chu nghi (Recueil des règles essentielles de la récitation des observances) et préfacé en 1883.

(11)- Les auteurs considèrent que le Mong Son thi thuc serait apparu au XVe siècle. Ce texte comporte de nombreuses variantes en des documents et compilations différemment datés:1883 [Dông Khanh rnâu Ty (12-2-1888/30-1-1889) ]; Ung pho du biên, 1895 [ Khai Dinh Nhâm tuât (28-l-1922/15-2-1923) ]...

L'énumération des catégories d'âmes comporte elle aussi des variantes selon les textes. Dans la composition de Lê Thanh Tông, les catégories évoquées sont: les moines zen, les religieux taoïstes, les mandarins, les lettrés, les géomanciens, les médecins, les officiers, les filles de joie, les commerçants, les libertins. Le Mong Son thi thuc évoque douze catégories d'âmes: rois et princes, officiers, mandarins, lettrés, moines zen, religieux taoïstes, commerçants, soldats, femmes mortes en couche, incultes sourds et muets, dames de cour, prisonniers et mendiants; cf. Lich su pliât giao VN (Histoire du bouddhisme viêtnamien), Ha Nôi, Ed. des Sciences sociales, 1988, p. 279. Le texte du Mông Son thi thuc qui se trouve également dans le recueil Ung pho du biên de 1895, évoque quant a lui dix catégories d'âmes: rois et grands mandarins, généraux et soldats, accidentés morts loin de chez eux, morts de misère en terre étrangère, prisonniers et mortes en couches, corvéables et voyageurs-commerçants, chanteurs et jeunes gens à la recherche d'une vie de religion; cf. Hoang Xuân Han, op. cil., p. 26-32.

(12) - Op. cil.

(13) - Dans son étude, Hoang Xuân Han a on effet présenté diverses versions de 1' " Oraison " :

- une version en nôm extraite de l'ouvrage Ung Pho Du Biên (Recueil pour répondre aux besoins) gravé on 1895 par le bonic Tang Dai et dont les planches sont entreposées à la pagode de Hung Phuc (Bac Ninh);

- une version en quôc ngu (alphabet latin) translittérée à partir du nôm par Lê Thuoc, qui est déposée à la pagode Diêc au Nghê An et qui a été publiée dans l'ouvrage Histoire de Nguyèn Du (Hà Nôi, 1924). Notons que Lê Thuoc, l'un des derniers lauréats des concours traditionnnels (1918), originaire du Hà Tinh, pays natal de Nguyên Du, a étudié les oeuvres de ce dernier et est arrivé à la conclusion que 1' " Oraison est bien l'oeuvre du grand poète;

- une troisième version, également en quôc ngu, fut publiée dans le Van Dan Bao Giam (Précieux miroir de la tribune littéraire), livre rassemblant les oeuvres anciennes de différents auteurs (Ha Nôi, 1926).

Hoang Xuân Han signale également une autre édition, en 1932, probablement celle parue dans la revue Nam Phong (Vent du Sud), XXXI/178 (1932), p. 502-504.

(14) - A la bataille de Dong Da, dans la ville même de Hà Nôi, en janvier 1789

(15) - Les personnes de famille noble.

(16) -Elégie de la lemme du guerrier (trad. Huynh Khac Dung), Saigon, 1969, p. 36.

(17) - Nous utilisons pour cette adaptation en français le texte reconnu par Hoang Xuân Han comme le plus authentique, c'est-à-dire celui translittéré par Lê Thuoc (cf. note 13) et attribué à Nguyên Du. Nous respectons également les modifications que Hoang Xuân Han a apportées au texte de Lê Thuoc, modifications étayées par une solide argumentation, pour rétablir autant que faire se peut le poème dans sa version la plus proche de l'original.

(18) - ln: Nguyên Khac Viên et Huu Ngoc, Littérature vietnamienne, Hà Nôi, 1979, p. 315-319.

(19) - Cf. note 13.



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