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VAN CHIEU HON

" Oraison pour le rachat des âmes abandonnées "

attribuée à Nguyên Du

Quach Thanh Tam


I - L'autel de la délivrance est dressé

Par le temps en ce 7e mois, il pleut sans discontinuité (20)
L'air imbibé de froide rosée pénètre la terre et glace les vieux os
Dans ce soir d'automne, oh! combien est grande la tristesse qui nous serre le coeur
La lande de roseaux est incrustée de fleurs blanches (21) comme des points d'argent, la surface de l'eau des puits est parsemée de feuilles de platane d'un or automnal (22).

Sur l'allée de peupliers, s'étire l'ombre du soir
Goutte à goutte la pluie tombe sur les frondaisons des poiriers sauvages
Quel coeur n'éprouverait pas un sentiment douloureux ?
Il fait déjà si triste en ce monde, alors que dire dans l'autre

Dans la longue nuit, le ciel et la terre s'enveloppent d'obscurité
Pitié pour les âmes qui errent, ombres inconsistantes dans ce monde sans lumière
Pitié pour toutes (23)ces créatures de l'humanité
Leur périsprit (24)esseulé, leur âme solitaire flottent à la dérive en terre étrangère

Ils n'ont pas de lieu [pour se réfugier], d'où montent les volutes des bâtonnets d'encens allumés (25)
Subissant le sort des sans-famille, ils doivent s'attarder dans la nuit noire
A quoi bon distinguer encore riches et pauvres ?
A quoi bon distinguer encore sages et incultes ?

En cette période de début d'automne, dressons un autel afin de prier pour leur délivrance
La branche de saule asperge la foule des gouttes salvatrices d'une eau limpide (26)
Implorons dix mille fois la puissance miséricordieuse de Bouddha
Afin que ces âmes soient sauvées de la souffrance, et qu'elles parviennent au paradis de l'Ouest (27)

Il - Les dix catégories de victimes du monde des humains

1 - Les rois et princes morts assassinés

Voici ceux qui complotent pour usurper une position supérieure
Ils n'ont qu'un but fixe accaparer la charge suprême
Quand ils sont dans leur toute puissance, personne n'ose en parler
Mais que leur situation perde ses avantages, que leur chance s'épuise, alors vient le temps des douleurs

En un instant, voici que volent les cendres, que se détachent les tuiles des maisons détruites
Il leur est impossible de se cacher en simple peuple (28)
Plus grands étaient leur luxe et leur opulence, plus lourde est la rancune qu'ils suscitent
Leur sang frais coule abondamment, leurs os décharnés sont dispersés

Les voici en bandes sans sépulture, sans culte (29), égarés, malheureux
Démons sans tête, implorant, pleurant dans la nuit pluvieuse
Même si victoires et défaites dépendent des circonstances (30)
Ces âmes désincarnées ne connaissent jamais le moment de leur délivrance

2 - Les filles nobles mortes suicidées

Voici les nobles demoiselles derrière les rideaux brodés d'orchidées et les tentures brodées de lys
En leur palais, elles sont fières de leur beauté comparable à celle de la Dame de la Lune(31)
Mais voilà que survient un changement de dynastie
Que sauraient-elles faire de leurs personnes, fragiles comme des feuilles (32)?

Du haut de leur balcon, elles se jettent dans le courant du fleuve (33)
Que le destin voulant que l'épingle soit brisée, que le vase soit tombé en morceaux (34), s'accomplisse
Que de monde autour d'elles quand ce fut le temps des rires
Mais personne pour recueillir leurs os quand elles viennent à fermer définitivement les yeux

Quelle affliction ! Personne pour leur brûler de l'encens d'où monterait la fumée
Leurs âmes errent sans but sur les marais aux joncs, sur la lande aux myrtes
Leurs jambes faibles, leurs bras sans force inspirent de la pitié
Comme des feuilles, année après année, elles se sont flétries, nuit après nuit elles se sont froissées

3 - Les ministres morts dans l'infortune

Voici ceux qui portent haut le chapeau et larve l'habit
Par la pointe de leur pinceau à l'encre vermillon, ils tiennent la décision de vie et de mort
Leur art de gouverner emplit un plein baluchon
Sans cesse ils se réfèrent, la nuit a Quan Cat, le jour à Y Chu (35)

Plus leur puissance est grande, plus ils se créent d'ennemis
Des centaines d'espèces de fantômes se bousculent autour d'eux [guettant leur trépas pour prendre leur revanche]
Mais dix mille taëls d'or ne peuvent maintenant racheter leur sort
Où sont donc les pavillons de chants et les palais de théâtres, [jadis lieux de leurs nobles réjouissances]?

Leurs proches ne sont point là, partout où se porte le regard
Qui donc pourra leur faire les frugales offrandes d'un bol d'eau et de quelques bâtonnets d'encens?
Leur âme solitaire erre de-ci de-là, jusqu'à l'épuisement
Lourd est leur karma, inaccessible est la voie de la réincarnation

4- Les généraux morts dans la défaite

Voici ceux qui ont disposé des troupes et conçu des stratégies
Recevant le sceau du commandement suprême du souverain même
Les cris de l'offensive s'enflent, semblables aux tumultes de la pluie et du vent
Voici exposés les cadavres de la multitude des combattants (36)au service d'une seule personne

Quand la situation tourne au désavantage, l'arc tombe, les flèches manquent leur but (37)
Sur le champ de bataille, que de chair blessée que de sang répandu
[Soldats morts au combat les voici] esseulés dans le lointain, errant à l'angle de la ligne de l'océan, perdus à l'horizon
Comment saurait-on où sont ensevelis les corps des gens d'armes enveloppés de peau de cheval (38) ?

Dans un ciel assombri, retentissent les bruits de la pluie qui gronde, et du vent qui hurle
Partout se condense le brouillard opaque, souffle de la nuit
Culte d'hiver comme culte d'automne (39),
Où sont ceux qui doivent les célébrer en leur honneur ?

5 - Les chercheurs de richesses morts sur les chemins

Il y a ceux qui cherchent à devenir très riches
Ils s'infligent des nuits écourtées, des repas succints
Cependant ils n'ont point de parents proches
Même s'ils réussissaient, à qui donc laisseraient-ils leur fortune ?

Quand vient le moment pour eux de se coucher définitivement, ils n'ont personne à qui confier leurs dernières volontés
Les biens de ce monde sont fugaces comme les nuages qui passent, les posséder ou ne pas les posséder ont une même signification
Bien que leurs dépenses fassent couler leurs argent et monnaies comme l'eau dans un courant
Ils ne peuvent cependant en emporter une seule pièce, quand vient le moment du grand départ

Pour les pleurer, on fait appel aux pleureuses professionnelles, point de voisin pour leur témoigner une compassion de simple relation
Ils sont ensevelis furtivement la nuit (40) dans un cercueil en bois de banian (41), à la lueur d'une torche de bûchettes
Dans les marécages comme sur les champs secs, leurs âmes s'égarent
A la vaine recherche de baguettes d'encens déjà consumées et de quelques gouttes d'eau

6 - Ceux qui courent après les honneurs, morts sur les routes ou dans les auberges

Il y a aussi ceux qui recherchent les honneurs
S'engageant dans la vie agitée des villes
Depuis plusieurs automnes ils ont quitté leur maison et famille
Mais peuvent-ils vraiment compter sur leurs connaissances des lettres pour assurer leur existence ?

D'auberge en auberge, exposés aux intempéries saisonnières (42)
Loin de leurs épouses et enfants, qui ne peuvent leur prodiguer régime (43) et soins
A la hâte, on les recouvre de linceuls, face contre terre, on les enterre couchés sur le côté (44)
Leurs frères ? Des étrangers. Les voisins ? Des personnes sans aucun lien de parenté

Peut-être là-bas au loin se profile dans le village l'ombre de leur maison natale
Ici, au cimetière, de-ci de-là des curieux indifférents
Leur âme solitaire ne peut que se confier à la terre inconnue,
Empreinte de désolation, baignée dans une faible clarté de lune, parcourue de brises, où les volutes des baguettes d'encens sont tombées en cendres refroidies

7 - Les commerçants morts loin de leur famille

Voici encore ceux qui remontent les fleuves ou qui sortent en mer
La voilure de leur embarcation en forme d'aile de chauve-souris défile oblique aux vents d'est
Surpris par les orages et tempêtes au milieu du courant
Leurs corps sont engloutis dans le ventre des baleines et requins

Voici également ceux qui vont qui viennent sur les routes pour commercer
Les épaules écrasées et endurcies par les charges aux bouts du balancier de bambou
Et quand le temps est mauvais, le ciel embué de miasmes
Ils meurent : âmes sur la route, où vous égarez-vous?

8- Les soldats morts sur le champ de bataille

Il y a ceux qui sont enrôlés dans les régiments
Délaissant Leurs maisons pour aller faire leur service
Buvant l'eau des gourdes, mangeant le riz contenu dans les tubes (45), dur est leur quotidien
S'exposant aux intempéries sur dix mille lieues, ils ne connaissent qu'une vie pitoyable

Dans la bataille, la vie d'un homme est insignifiante, semblable à des détritus
Leur corps est destiné aux balles perdues et aux flèches aveugles
Dans le lointain clignotent les feux-follets de leurs âmes égarées
Leur cri d'une mort injuste résonne sourdement, inspirant la nuit venue une grande compassion

9 - Les filles de joie mortes dans la solitude

Voici celles qui ont perdu par égarement leur virginité
Sacrifiant leur jeune âge elles font le commerce de fleurs et de lune (46)
Hébétées, quand vient la vieillesse
Elles cherchent désespérément mari et enfants; sur qui pourraient-elles s'appuyer?

Durant toute une vie, que de soucis et de peines
Maintenant à leur mort, il leur faut lamper la claire soupe de riz dans un cornet de feuille de banian (47)
Oh ! que de souffrance dans le destin d'une femme!
Qui a permis qu'elles naissent lourdes de ce karma?

10 - Ceux qui sont morts de misère et par accident

Voici ceux qui dorment sur les ponts, ou la tête sur un oreiller de terre
Parcourant des jours durant les routes en tous sens, pour mendier
Quelle pitié pour une même condition humaine!
Ceux-là ne vivent que du secours des gens de passage, ne sont enterrés qu'au bord des grands chemins

Voici ceux qui sont morts en prison [ injustement condamnés ou pour payer les conséquences de leurs actes ]
Leur corps est enveloppé sommairement dans une natte de roseaux
Leurs os en paquet sont enfouis hâtivement au coin de la citadelle
Quelle vie pourraient-ils attendre pour se défaire de ce mauvais karma? Voici les tout petits bébés

Nés en se trompant d'heure (48), ils doivent quitter mère et père
Qui dans l'autre monde, les berce dans les bras, en va-et-vient?
Leurs pleurs saccadés en petits cris sourds (u-u) brûlent les entrailles
Voici ceux qui se noyent dans les rivières ou qui disparaissent sous torrents

Il y a aussi ceux qui sont pris dans des pièges ou qui tombent des branches de l'arbre
Il y a ceux qui meurent noyés dans le puits, cassée la corde qui les retient
Il y a ceux qui sont emportés par l'eau des inondations, ceux qui sont pris dans le feu des incendies de ville
Il y a ceux qui sont la proie des animaux féroces des montagnes et des eaux

Ceux qui sont victimes des coups de dents des tigres, de défenses des éléphants
Voici les bébés morts de celles qui ne connaissent que l'enfantement
Voici celles qui, par leurs fausses couches, mettent en danger leur vie (49)

III - L'errance pénible des âmes abandonnées

Que sur la route [de la vie] qu'il leur faut parcourir, un mauvais pas [une erreur] vienne d'être commis
Alors, sur le pont de la rivière infranchissable (50)les uns derrière les autres se bousculent
A chacun son karma
Où sont maintenant les âmes dispersées, les périsprits (51) égarés?

Peut-être se sont-ils cachés le long des talus buissonnants ?
Peut-être se sont-ils réfugiés à l'amont des sources, au bas des nuages?
Peut-être sont-ils sur les étendues d'herbes ou dans les bosquets?
Peut-être sont-ils tout esseulés, sur ce pont-là, dans cette auberge-ci?

Peut-être se sont-ils mis sous la protection des temples et des pagodes?
Peut-être tournent-ils en rond entre marché et rivière?
Peut-être errent-ils sans but sur le champ désert
Ou dans des lieux parsemés de tumulus, ou dans les terrains couverts de bambous et de roseaux?

Automne après automne, ils supportent mille souffrances
Le ventre vide ressemblant à une feuille desséchée, grelottant dans le vent glacial
Ils s'exposent ainsi depuis des centaines d'années
Gémissant sous la terre, dormant, se nourrissant dans la rosée

Dès le chant du coq, il leur faut se cacher (52)
Dès le coucher du soleil, ils cherchent à se montrer, tout hébétés
Pêle-mêle, ils marchent, portant les petits, guidant les vieux
Oh, âmes! si vous êtes sensibles, venez prendre connaissance de notre sollicitude

IV - Prières auprès de Bouddha pour le sauvetage des âmes abandonnées

Que la puissance de Bouddha aide à rompre la chaîne du samsara afin qu'ils puissent parvenir à la Terre pure (53)
Que les rayons scintillants [ de l'auréole sainte d'Amitabha ] chassent l'obscurité et soulagent la souffrance
Que partout sur les quatre océans (54)
Soient effacés les douleurs et les chagrins, lavées les rancunes

Suprême et puissant est l'Enseignement de Bouddha
Qui, en lançant la roue de la Loi (55), prêche la voie de la délivrance dans les trois mondes (56)
Voici, bien décidé, le démon-prince "au visage brûlé" (57)
Qui, bannière miraculeuse à la main, conduit les pécheurs vers le salut

Grâce à la force salvatrice de Bouddha
Tous en un instant se réveillent comme d'un songe, de leur ignorance
Que ceux qui font partie des dix catégories d'êtres
Hommes, femmes, vieux, jeunes, viennent tous écouter les sûtras !

En cette vie éphémère, tout n'est que formes illusoires
Il a été dit: tout est impermanence (58)
Qui de ce monde vit avec Bouddha en son coeur
Se trouve naturellement libéré de la chaîne du samsara

Invitation aux âmes abandonnées à venir honorer les offrandes

Obéissant à l'enseignement de Bouddha, nous dressons un autel des sacrifices (59)
Présentant peu de chose: bol de soupe de riz à demi rempli, baguettes d'encens
Quelqu'objet qu'on appelle habit, barre d'or
Mais qui peuvent vous servir de biens pour venir profiter des prières et offrandes afin de trouver le chemin céleste de la delivrance

Qui que vous soyez, qui êtes arrivé, asseyez-vous dans l'ordre Ne soyez pas gêné par la frugalité, notre coeur sincère vous est offert
Que le miracle transforme ces quelques menues offrandes en grande quantité
Que de là-haut, le vénérable arhat fasse équitablement le partage Le Bouddha fait d'amour, de compassion, est sauveur d'âmes Ne soyez pas soucieux, il n'y a pas de sauvés et d'autres oubliés

Na mou Bouddha, Na mou Dharma, Na mou Sangha
Na mou : totale soit la délivrance, que le palais d'en-haut soit pour tous!

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(20) - En août (7e mois du calendrier lunaire), il pleut beaucoup au nord et au sud du Vietnam, et il commence à pleuvoir sur les plaines du centre. Les pluies sont alors frontales, d'où une abondance et une continuité qui contrastent avec la brutalité mais relativement brève des fréquentes averses orageuses. Cela a frappé l'opinion populaire qui a baptisé Ces pluies "pluies des Ngâu" (mua Ngâu). Cela renvoie à la très célèbre légende du bouvier et de la tisserande, Ngâu étant la prononciation déformée du Nguu de Nguu Lang (le bouvier), époux de Chuc Nu (la tisserande). Celle-ci, fille de l'empereur de Jade (Empereur céleste), est tellement amoureuse de son époux qu'elle en oublie d'accomplir à temps ses tâches ordinaires; son père la punit et ne l'autorise à rencontrer le bouvier qu'une fois dans l'année, le 7e jour du 7e mois. Le 7e mois est donc le mois de leurs brèves retrouvailles, et les pluies sont leurs larmes qui noient le ciel de leur chagrin.

(21) - "Incrustée de fleurs blanches": kham bac. C'est l'époque de la floraison des roseaux. Le blanc est également la couleur du deuil, et l'évocation des points blancs qui scintillent au gré du vent crée une atmosphère surnaturelle où le monde des morts se confond à celui des vivants.

(22) - "Parsemée de feuilles d'or": rung vàng. Il s'agit plutôt de feuilles de sterculier, qui ressemblent aux feuilles de platane (ngô dong). Selon la tradition, c'est cet arbre qui perd le plus précocément ses feuilles. Les [ feuilles ] d'or qui tombent évoquent aussi les papiers votifs or et argent qu'on brûle à l'occasion de la fête du pardon (Vu lan) à l'usage des défunts.

(23) - Il y a "dix catégories de créatures" (thàp loai chung sinh) soumises à la loi du cycle des renaissances (samsara), destinées à sans cesse mourir et à renaître. Le poème désigne seulement les êtres humains.

(24) - Phach, cf. note 1.

(25) - La fumée des bâtonnets d'encens, fréquemment évoquée, est un signe de la présence des êtres invisibles dans le monde des hommes.

(26) - Il s'agit de l'eau sans impureté (nuoc tinh binh) répandue d'un geste miséricordieux par le bodhisattva de la Miséricorde, Quan âm (Kouan yin), qui peut laver les pauvres pécheurs de toute faute et leur permettre l'accès au paradis de ['Ouest (cf. infra note 27). Avatar d'Avalokitesvara, Quan âm, ou l'un de ses nombreux alter ego, est souvent représenté avec une branche de saule dans une main et une gourde dans l'autre. Dans certaines régions, il est représenté sous l'apparence d'une femme et est placé debout devant la pagode, avec ses attributs de sauveur et accueillant les fidèles. Cette représentation est connue sous le nom de "Dame à la bonté resplendissante " (Duc Bà Diêu Thiên). laquelle est la Ouan âm de l'histoire populaire Nam Hai Quan âm, modèle d'infinies bonté et piété filiale. Dans l'iconographie bouddhique, on la retrouve faisant face à Quan âm tông tu (Ouan âm donneuse d'enfants), héroïne de l'histoire populaire Quan âm Thi Kinh, modèle de résignation dans l'espoir; ou à Quan âm Toa Son (Ouan âm méditant assise sur une montagne).

(27) - Le paradis de l'Ouest (Tây phuong cuc lac) ou terre de béatitude (Tinh Dô Thô) est situé à l'ouest du Saha (Ta bà), le monde de la souffrance et de l'impureté (Uê dô). Dans ce paradis règne le Bouddha Amitahha (A Di Dà), auréolé d'une lumière infinie, éclairant les dix mondes, traversant tous les obstacles, tous les temps, tous les espaces. Il peut tout voir, tout connaître, tout comprendre et donc tout sauver. Il est représenté avec un grand nombre de bras, d'yeux, (c'est le Bouddha "aux mille yeux mille bras" , thiên thu thiên nhan), balayant l'espace et le temps de sa vue démultipliée. Il peut également tendre la main à la multitude souffrante. La plus belle statue d'Amitabha du Viêt Nam se trouve à la pagode But Thap, à 30 km environ au nord-est de Hà Nôi. Sa réplique est exposée au Musée d'histoire de Hà Nôi, ex-musée Louis Finot.

(28) Le "simple peuple": thât phu; le vulgaire, sans connaissances des lettres, sans litre mandarinal, sans origine noble.

(29) - " Sans culte ": vô tu. Considérés comme traîtres, les usurpateurs déchus étaient interdits de culte, leur descendance mâle étant souvent exterminée. Il n'était point de malheur plus grand pour un Viêtnamien d'antan que de n'avoir personne, surtout de fils, pour lui assurer le culte et offrir les offrandes nécessaires à ses besoins dans l'au-delà. La croyance en une existence parallèle en tout point semblable à celle existant sur terre, remonte à la nuit des temps et se manifeste par le culte des morts. Etre sans culte, c'est être condamné éternellement, sans aucun espoir de délivrance.

(30) - " Circonstances ": co. Dans la conception sino-vietnamienne de la liberté humaine, le libre arbitre ne saurait être total; toute chose et tout acte sont conditionnés par les conjonctions des influences célestes et terrestres (cf. la notion de la propension des choses). Le mérite personnel attaché à telle action demeure intact, mais le résultat positif ou négatif de celle-ci dépend du choix du moment (thoi et thê : moment et situation). Tout se passe comme si le ciel disposait les lianes de forces (co troi) et que l'homme devait savoir guetter et choisir l'instant pour agir.

(31) - " En leur palais, fières de leur beauté comparable à celle de la Dame de la Lune": Nhung cây minh cung quê Hang Nga. Dans ce vers, les mots cung quê contiennent une allusion à l'histoire de la favorite du seigneur Trân Hâu Chua. Celui-ci fit construire pour sa favorite, très belle et très aimée, un beau palais avec une grande porte ronde semblable à la pleine lune, fermée par une plaque de cristal; au milieu de Ia cour, un seul arbre, un cannelier, était planté, d'où le nom de "palais du cannelier" (quê cung) - le palais porte encore le nom de "palais vaste et froid" (cung quang han). Ces expressions ont fini par désigner la demeure des très belles femmes.

La Dame de la Lune (Hang Nga) est, dans la légende, l'épouse du roi Hâu Nghê qui a obtenu de la "Reine, mère de l'Ouest" l'élixir de l'immortalité et l'a confié à Hang Nga. Ayant appris que son mari s'apprêtait à comploter contre le souverain, elle avala tout l'élixir, devint immortelle et s'envola habiter la lune - d'où l'expression guong nga, "miroir du nom de Nga", pour désigner parfois la lune. Les expressions Hang Nga ou chi Hang (soeur Hang) servent à désigner de très belles femmes.

(32) - L'expression ,manh la (mince feuille) suggère à la fois la fragilité physique des belles femmes qui, selon les canons en vigueur, doivent être menues, frêles, soumises, et la fragilité de leur destin.

(33) - Selon la tradition, se jeter dans les flots est l'une des manières, pour les femmes vertueuses ou malheureuses, de mettre fin à leurs jours; "manière douce', puisque l'élément "eau", fluide, souple, correspond mieux, croyait-on, à la nature féminine. La littérature sino-vietnamienne abonde en exemple de tentatives de suicide par noyade; ce qui permet d'ailleurs aux auteurs, pour les besoins de l'intrigue, de ressusciter les victimes par un sauvetage inattendu.

(34) - L'épingle cassée et le vase brisé (trâm gay binh roi): le saccage des objets précieux est une image de violence et évoque la mort des belles femmes brutalisées sans aucun égard pour leur fragile beauté.

(35) - Quan et Cat, Y et Chu sont des personnages de l'histoire ancienne de la Chine.

Quan, Quan Trong (Guan Zhong) (mort en 645 av. J.-C), vivait sous les Qi, à l'époque des Printemps-Automne (722-481 av. J.-C.). Plein de talent et de sagesse, il a mis efficacement ses conseils au service de Tê Hoan Công (Qi Huan Gong).

Cat, Gia Cat Luong (Jia Geliang), est plus connu sous le nom de Không Minh (Kong Ming) (181-234), de l'époque des Trois Royaumes (220-265). En cette période troublée, cet homme très sage a d'abord vécu retiré dans l'attente d'un seigneur éclairé qui fût digne d'être servi. S'étant fait prier par trois fois avant d'accepter, il mit finalement son savoir au service de Liu Bei des Han postérieurs (23-220).

Y, Y Doan (Y Yin), est un très grand sage de l'époque mythique des Shang (vers 1025 av. J.-C.). Le roi Shang l'invita à participer aux affaires publiques: il fallut là aussi trois invitations pour qu'il acceptât enfin. Il combattit le cruel roi Kiet et rétablit la paix dans le pays.

Chu (Zhou), Chu Công Dan, est le duc de Zhou (Zhou Gong Dan), fils de Zhou Wenyang, régent pendant la minorité de son neveu, connu pour sa fidélité au roi et pour être l'auteur de la codification des rites concernant les événements importants de Ia vie (mariage, deuil, naissance, cultes).

(36) - Litt. les "cent familles" (tram ho), expression qui désigne l'ensemble de la population.

(37) - "L'arc tombe, les flèches s'égarent" (cung roi tên lac) suggère à la fois la malchance et l'incapacité de se défendre, ce qui laisse à l'ennemi toute latitude de tuer.

(38) - L'expression "les corps enveloppés de peau de cheval " (bo thân da ngua [ ma cach khoa thi ] ) fait allusion à une déclaration de Ma Viên (Ma Yuan), général chinois gouverneur du Jiaozbi (Giao Chi) et vainqueur des soeurs Trung (40-43); à plusieurs reprises, pour encourager ses soldats, il aurait proclamé, en substance, que quand on est un soldat, il faut se conduire de façon héroïque et préférer l'honneur de mourir sur le champ de bataille (enveloppé de peau de cheval) à la douceur du foyer.

(39)- Con dâu tê tu, con dâu chung thuong: les cultes qui ont lieu en hiver se disent chung, ceux d'automne, thuong.

(40) - L'enterrement de nuit est un enterrement à la hâte, presque en cachette, pour les gens misérables, de peu d'importance.

(41) - C'est-à-dire un bois de mauvaise qualité.

(42) - "Exposés aux intempéries saisonnières" (phai tuân mua nang): les croyances populaires attribuent aux vents, aux pluies, aux rayons solaires, surtout au moment des changements de saisons, un grand nombre de maux: rhumes, grippes, douleurs diverses.

(43) - On croit fermement que certains aliments ont des vertus et d'autres de mauvais effets sur l'organisme, dans des cas précis où intervient leur potentiel yin et yang; d'où des prescriptions de régimes alimentaires qui vont toujours de pair avec la prescription de remèdes de la médecine sino-vietnamienne. L'étudiant à la poursuite d'honneurs par la voie des concours est par excellence celui qui n'a ni les moyens ni l'assistance nécessaires pour veiller aux respects des prescriptions et interdits cn cas de maladie.

(44) - "Face contre terre" (liêm sâp) , "enterrés sur le côté" (chôn nghiêng), ces détails suggèrent le peu de cas qu'on fait du mort dont on ne prend pas soin, dont on expédie n'importe comment l'enterrement, alors que, normalement, les gestes et rites dus au défunt sont effectués avec précaution, empreints de solennité et de douleur.

(45) - L'eau des gourdes, le riz des tubes (nuoc bâu com ong) forment l'alimentation des êtres sans logis, sans moyens de subvenir à leurs simples besoins quotidiens. Occupés à se battre, les soldats improvisent la cuisson du riz avec, pour récipients et ustensiles, des segments d'espèces de grands bambous. Ainsi procèdent, également, les errants de tous les temps: forestiers, guérilleros, marchands transfrontaliers... Dans le tube de bambou, on peut mettre et conserver des produits de ramassage, tels que de jeunes tiges de liane commestible , des crabes, du poisson, des oeufs de fourmis rouges, certaines larves, etc.

(46) - "Commerce de fleurs et de lune" (ban nguyêt buôn hoa) : commerce de charmes féminins. L'expression "fleurs et lune" désigne les rencontres amoureuses sans consentement familial, ainsi que les attitudes impudiques réprouvées par la morale traditionnelle.

(47) - Hop chao la da : la frugale offrande de soupe de riz lors du Vu lan.

(48) - "Nés en se trompant d'heure" (loi gio sinh): dans une société où la mortalité infantile est importante, on prétend, pour se consoler, que si le nouveau-né meurt, c'est parce qu'il s'est trompé d'heure pour venir au monde (car les gardiens des registres -l'étoile du Nord [Nam tào] et la constellation de la Croix du Sud [Bac dâu] - inscrivent l'heure de la naissance et de la mort de chacun d'entre nous), ou parce les parents ont contracté une dette à son égard dans une vie antérieure et qu'il apparaît juste le temps de réclamer son dû.

(49) - De même que la mortalité des nouveaux-nés, la mortalité des femmes en couche était très grande, par manque d'hygiène mais surtout par hémorragie post-délivrance. Mettre un enfant au monde était considéré comme une épreuve dangereuse que la femme ne pouvait affronter que seule, ce que traduit le dicton: "L'homme traverse la mer en compagnie, alors que la femme le fait comme une orpheline, en solitaire" (dàn ông di biên co dôi, dàn bà di biên mô côi môi minh).

(50) - Litt. "le pont sur la rivière Nai Hà" (câu Nai Hà): il s'agit d'une rivière qui se trouve en enfer et qui est entrecoupée de trois chutes, ce qui rend impossible sa traversée par les damnés.

(51) - Cf. note 1.

(52) - Les âmes affamées, dont le domaine se trouve dans le monde obscur, ne peuvent affronter la lumière du soleil.

(53) - Tinh Dô Thô (Jing tu), La Terre pure ou le paradis de l'Ouest (ci. supra flotc 27), région placée sous la bienveillance d'Amitabha, habitée par les arhat, les bodhisaUva..., par ceux qui sont délivrés des tentations du monde impur des humains. C'est en effet la terre protégée des impuretés dûes aux cinq catégories qui les génèrent (ngu truoc): destin, connaissance, soucis, création, vie.

(54) - Les quatre océans (tu dai bô chu) qui entourent le mont Meru (nui Tu di), demeure des immortels, des sages. Dans chacun de ces océans se trouve un grand Continent.

(55) - "Lancer la roue de la Loi": chuyên Phap luân (Phap luân: Dharmachakra, la roue de la Loi). Le Bouddha, ayant atteint l'illumination, a voulu sauver ses semblables et, pour cela, il a mis en marche la roue de la Loi, en prêchant devant ses cinq grands disciples - dans le jardin des Gazelles à Bénarès - le mystère des quatres vérités excellentes (tu diêu dê: arasatyâni) : la douleur (dukha); l'origine de la douleur (samudya); la suppression de la douleur (nirodha); la voie conduisant à la suppression de la douleur (marga). L'histoire du bouddhisme retient cependant un autre moment qui marque le début de la mise en marche" de la doctrine : la prédication par le Bouddha, devant un grand nombre de ses disciples, du sûtra du Lotus de la Bonne Loi (Saddharmapundarika-sûtra), juste avant son entrée dans le nirvana. Ainsi a-t-il inauguré, selon la tradition, le bouddhisme du Grand Véhicule (Mahâyâna). Dans le contexte du poème, c'est la volonté du Bouddha de sauver toutes les âmes en peine, de les libérer de la damnation éternelle, qui est ici suggérée.

(56) - Les Trois mondes (tam giai), les dix régions (thâp phuong). En langage bouddhique, ceux qui ne sont pas complètement éveillés demeurent prisonniers de trois mondes OÙ ils sont soumis au cycle des morts et des renaissances (samsara) : le monde des sens (duc giai), le monde des formes (sac giai), le monde sans forme (vô sac giai), le tout divisé en 32 étages où sont rassemblées toutes les différentes créatures de l'univers. Le monde des sens est celui des êtres humains qui en habitent l'étage intermédiaire alors que les bienheureux (canh tiên) en habitent l'étage supérieur; son étage inférieur est celui de l'espèce animale ainsi que celui où se trouvent les enfers.

Les "dix régions de lespace " désignent l'univers entier et toutes les créatures visibles ou invisib qui s y meuvent, dans ses dix directions : est, ouest, nord, sud, sud-est, sud-ouest, nord-est, sud-est, haut et bas.

(57) - Tiêu Diên Qui Vuong, cf. supra note 8, ainsi que dans notre texte, ce qui a été dit

au sujet de ce personnage.

(58) - Litt. " dix mille choses et faits ne sont que néant" (van canh giai không).

(59) - Dan chân tê.

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